1-54 New York dans l’œil d’un collectionneur

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Habitué de la foire 1-54, le collectionneur Rodolphe Blavy nous entraîne dans son sillage à la découverte de l’édition new-yorkaise qui avait lieu du 18 au 21 mai à Harlem.

Portrait du collectionneur Rodolphe Blavy.

Visiter la foire 1-54 à New York est une découverte pour moi après dix ans à arpenter les allées de Somerset House et de La Mamounia. Mon engagement de collectionneur est militant, résolument centré sur les artistes émergents et espérant, avec humilité, dénicher ceux qui compteront avec le temps, marqueront l’art mais aussi refléteront nos sociétés. 1-54 à New York m’apparaissait donc comme une promesse, a fortiori dans ce nouvel endroit à la croisée des chemins. Cette année, la foire fondatrice du marché de l’art contemporain africain s’est installée à Harlem, au Manhattanville Factory District, cœur de la culture afro américaine. Deux scènes artistiques si dynamiques et devenues toutes deux si visibles au cours des dernières années, comment puisent-elles dans leurs racines communes, quels dialogues entretiennent-elles, quels regards portent-elles l’une sur l’autre ?

Loin de la démesure américaine, la foire est à taille humaine et dès l’entrée, je rencontre des visages familiers : Touria El Glaoui, fondatrice de la foire, à qui revient tant de mérite après toutes ces années ; Claude Grunitzky, parmi les prescripteurs de longue date de l’art africain contemporain ; Karen Milbourne, senior curator du Smithsonian, qui nous rappelle que les musées se déplacent pour venir voir ce qui se montre dans les couloirs de la foire ; les artistes aussi, nombreux, certainement un peu anxieux durant ces premiers instants ; et d’autres, curieux, qui viennent scruter les toiles derrière l’excitation du marché de l’art.

Demarco Mosby, Pity, 2022, huile sur toile, 157,5 x 132,1 cm. Courtesy de l'artiste et Luce Gallery, Turin (Italie).

Dans des stands relativement étroits, les galeries ont fait des choix différents. Autour d’accrochages monographiques, quelques-unes présentent des artistes que nous connaissons déjà bien. C’est le cas de la galerie Retro Africa (Abuja) avec une présentation très cohérente de l’œuvre d’Amadou Sanogo. À la galerie Cécile Fakhoury (Abidjan, Paris), un solo show de Roméo Mivekannin, dans un accrochage muséal où la peinture vient enrichir les monochromies de l’artiste est particulièrement séduisant. D’autres ont choisi de mettre à l’honneur des artistes que je découvre, avec beaucoup de plaisir. Je pense notamment aux paysages surréalistes de Ronald Hall, avec en toile de fond l’histoire américaine. Trois exemples qui mettent en exergue un propos qui semble traverser le travail des artistes noirs : une recherche constante d’une réinterprétation plus vraie de l’histoire, de réintégration dans l’histoire de marges qui en avaient été exclues, que ce soit en Afrique ou aux États-Unis.

À l’heure d’une certaine lassitude chez les collectionneurs sur des représentations un peu trop éprouvées, notamment autour de la portraiture africaine, certains artistes et leur galerie réussissent à nous surprendre avec des « variations sur le même thème ». Dès l’entrée de la foire, la THK Gallery (Le Cap) présente les grandes figures aux traits cubistes de Mmangaliso Nzuza. Chez Spinello Projects (Miami), ce sont les portraits fluides de Jared Mcgriff, où la peinture semble se mêler d’aquarelle, qui marqueront pour moi cette édition new-yorkaise de 1-54. Ces découvertes justifient les heures à déambuler et le voyage new-yorkais. Le reste de la foire est un peu plus disparate – avec des artistes que l’on aime mais dont on voudrait voir la pleine force, tels que Themba Khumalo (Galerie Atiss, Dakar) ou Kaloki Nyamai (Septième Gallery, Paris) que l’on avait découvert à la Biennale de Dakar 2022. La photographie tient une place cohérente, notamment avec les œuvres poétiques de Saidou Dicko (présenté par Afikaris, Paris), le travail des matières aussi, sans que l’on ne saisisse pour autant les nouvelles directions de la création africaine contemporaine.

Themba Khumalo, Izulu, 2022, huile sur toile, 187 cm x 195 cm. Courtesy de la Galerie Atiss, Dakar.

Autre question dans l’air du temps, celle du marché de l’art africain et afro-américain après des années flamboyantes, notamment côté prix… La succession des ventes aux enchères durant la foire alimente la discussion, devant la relative absence des artistes africains, à part quelques très grands noms en vrai contraste par rapport aux ventes de l’année dernière. Et il est vrai que les cotes ont grimpé, souvent entre 10 000 et 20 000 dollars pour les tous jeunes artistes émergents et s’approchant des 50 000 dollars pour des artistes dans l’œil du public, comme Roméo Mivekannin ou Jared Mcgriff. Mon dévolu s’est porté cette fois sur les portraits à la frontière de l’abstraction de Fidelis Joseph, introduits par la jeune Dada Gallery (Londres). Un vrai coup de cœur pour moi lors de cette foire.

Rodolphe Blavy

Mmangaliso Nzuza, Watching and Waiting, 2023, huile sur toile, 120 x 100 cm. Courtesy de THK Gallery.
Fidelis Joseph, Sai bakin dutse , 2021 , huile et pastel sur toile, 213 x 182 cm . Courtesy de DADA Gallery.
Ronald Hall, Cataclysmic Negritude, 2023, Acrilique sur toile, 40 x 30 cm. Courtesy de l'artiste et Duane Thomas Gallery.
Johanna Mirabel, Front Stairs n. 3, 2022, huile sur toile, 215 x 135 cm. Courtesy de l'artiste et Luce Gallery, Turin (Italie).