2022, nouvelle année record pour l’art contemporain africain

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Tous les ans nous le disons, et c’est encore plus vrai d’année en année : le marché de l’art contemporain africain ne s’est jamais aussi bien porté. Au cours de la dernière décennie, le volume des ventes aux enchères a été multiplié par cinq, faisant de ce segment un excellent placement pour les collectionneurs.

L’art contemporain africain est devenu incontournable sur le marché de l’art global. Tandis que les sociétés de ventes Piasa, Artcurial, Bonhams ou Sotheby’s lui consacrent des sessions dédiées, Christie’s et Phillips recherchent constamment des oeuvres d’artistes africains pour alimenter leurs ventes généralistes d’art contemporain dont les coups de marteau retentissent à travers toute la planète.

L’enjeu devient conséquent pour ces acteurs du marché qui, en plus de constater un élargissement considérable de leur clientèle dans ce secteur, voient s’accélérer les transactions haut de gamme. Les adjudications à plus de 100 000 $ ou 500 000 $, voire supérieures au million, ne sont plus si rares ; cette dynamique des prix incite l’ouverture du marché à de nouveaux artistes africains. L’offre ne cesse donc de s’élargir, avec un record de plus de 2 700 oeuvres d’artistes africains vendues aux enchères en 2022 : presque deux fois plus qu’avant la pandémie de Covid.

Vendu 6 700 $ Emmanuel Kwaku Yaro, In My Suit, 2021, acrylique, nylon tissé et toile de jute sur plastique, 182 x 140 cm. © Phillips

Outre les collectionneurs du continent africain et les Français, fidèles et actifs depuis longtemps, les acheteurs se manifestent de plus en plus fermement depuis le Royaume-Uni, les États-Unis et l’Asie. Rappelons à ce propos qu’en mars 2022, le fameux artiste ghanéen de 38 ans Amoako Boafo vendait à Shanghai, sous la direction de Christie’s, sa toile Orange shirt (2019) plus de 1,3 million de dollars.

La réussite de cette première vente réalisée en Chine continentale illustre combien les artistes africains célèbres sont désormais attendus de ce côté du globe. Cet élargissement géographique de l’offre et la croissance perpétuelle du nombre de collectionneurs consolident la place de l’art contemporain africain sur le marché de l’art global.

Vendu 150 000 $ Mohamed Melehi, Flamme, 1969, acrylique sur toile, 121 x 75 cm. © Artcurial

Les bases se consolident

Les résultats n’ont d’ailleurs jamais été si puissants, puisque les oeuvres des artistes contemporains de naissance africaine ont généré 63 millions $ aux enchères l’an dernier, contre un précédent record établi autour de 47 millions en 2021. À l’issue du premier semestre 2022, nous constations que le poids économique de l’art contemporain africain aux enchères avait triplé à l’échelle de la décennie, mais il a aussi maintenu un rythme exceptionnel sur l’ensemble du second semestre, si bien que son produit de ventes s’avère finalement cinq fois plus important au terme de l’année 2022 qu’en 2012.

Paris est une place de marché incontournable pour les collectionneurs d’art contemporain africain. En France, la maison de vente Piasa a été la première, il y a sept ans, à créer un département dédié à l’art contemporain africain sous l’impulsion de Christophe Person qui, depuis, a rejoint Artcurial en 2021 pour y diriger le département d’art contemporain africain. Christophe Person vient d’ailleurs d’ouvrir sa galerie éponyme à Paris pour présenter des artistes africains « en évitant une production commerciale avec une esthétique répétitive, voire un peu trop facile ou racoleuse », confiait-il au Quotidien de l’Art en décembre dernier.

Cette nouvelle fenêtre ouverte sur la création contemporaine africaine paraît importante au moment où Paris redouble d’attractivité avec les arrivées récentes sur la place des galeries Skarstedt, David Zwirner, Peter Kilchmann, Hauser & Wirth.

Vendu 16 900 $ Barthélémy Toguo, Purification XXIX, 2010, aquarelle sur papier, 95 x 85,5 cm. © Piasa

À Paris, au minimum trois ventes dédiées à l’art moderne et contemporain africain sont organisées chaque semestre. Piasa et Artcurial continuent à en développer le marché à l’heure ou la société britannique Bonhams, elle aussi engagée sur le marché de l’art africain, met un pied à Paris et à Bruxelles via le rachat de Cornette de Saint Cyr. Les perspectives de développement dans le secteur pourraient en être renforcées en Europe.

Artcurial, pionnière pour avoir organisé sa première vente dédiée à la création contemporaine africaine en 2010, développe aussi le marché à Marrakech, où la 4e édition de la vente « Un hiver marocain » affiche un résultat de 3 millions de dollars, dont 150 000 $ pour une Flamme de Mohamed Melehi et 113 000 $ pour un grand tableau d’Aboudia. En parallèle, Piasa, qui entend replacer les artistes africains et leurs oeuvres dans un contexte local et global pour les ancrer dans l’histoire, récolte les fruits de son travail de fond avec un sold out sur les artistes sénégalais lors de sa vente du 9 novembre 2022 (Afrique + Art moderne et contemporain).

Tous les dessins au format carte postale d’Abdoulaye Samb se sont vendus, bien que ce soit le tout premier passage aux enchères de l’artiste. Ce succès inédit démontre que les collectionneurs français sont prêts à s’engager financièrement lorsque le travail est bon, y compris pour des artistes n’ayant pas encore établi de cote officielle sur le marché des enchères. Cette vacation de novembre récompense aussi les noms phares du marché, avec de belles ventes pour des oeuvres d’El Anatsui (88 600 $), de Barthélémy Toguo, de Frédéric Bruly Bouabré et de Chéri Samba.

Vendu 4 740 000 $ Njideka Akunyili Crosby, The Beautyful Ones, 2012, acrylique, pastel, crayon de couleur et transfert sur papier, 243 x 170 cm © Christie’s

Le nouveau rôle de la Chine

Les acteurs anglo-saxons exploitent quant à eux de plus en plus la demande en art contemporain africain. Phillips, qui a initié la flambée des prix de Boafo en présentant sa première toile aux enchères en 2020 (The Lemon Bathing Suit, vendue 881 000 $) a fait découvrir à son réseau de collectionneurs de nouveaux artistes ghanéens à travers une exposition-vente dédiée qui s’est tenue à Londres en février 2022 (« Birds of a Feather »), avec des oeuvres d’Awanle Ayiboro Hawa Ali, Courage Hunke, James Mishio, Araba Opoku, Abdur Rahman Muhammed et Kwaku Yaro.

Christie’s et Sotheby’s se livrent quant à elles une véritable course aux records dans les plus hautes sphères de prix. Citons les 2,19 millions $ obtenus pour Toyin Ojih Odutola chez Sotheby’s en novembre 2021, ou les 4,47 millions $ pour une toile de Njideka Akunyili Crosby chez Christie’s en novembre 2022. Les adjudications les plus puissantes ne proviennent donc ni de Paris ni de Marrakech, mais de New York, tandis que le marché commence à battre son plein à Hong Kong, où la maison de ventes chinoise Holly International remporte deux nouveaux records d’artistes : celui de l’artiste ghanéen Isshaq Ismail avec 341 000 $ pour Epoch 1 décrochés fin juillet 2022 et celui du peintre ivoirien Aboudia Diarrassouba avec 614 000 $ enregistrés fin novembre pour une toile de quatre mètres intitulée Jeux d’enfants.

Vendu 5 000 $ Abdur Rahman Muhammad, American Boy, 2022, huile sur toile, 170 x 130 cm. © Phillips

Ces records hongkongais ont bousculé le classement des 500 artistes des plus performants de l’année 2022, dans lequel se distinguent quatre artistes contemporains africains. En premier lieu, Aboudia se hisse à la 128e position grâce à un saisissant produit de ventes dépassant les 15,6 millions $ aux enchères, puis arrive Isshaq Ismail avec la 352e performance mondiale établie à 5 millions de dollars annuels. Un succès fulgurant qui le propulse devant William Kentridge et Njideka Akunyili Crosby, dont les produits de ventes annuels se hissent à 4,7 millions chacun. C’est l’un des grands bouleversements de l’année écoulée : la Chine joue désormais un rôle déterminant dans la santé économique du marché de l’art contemporain africain, comme sur la cote de ses créateurs.

Par Céline Moine, Artmarket by Artprice.com