Abdoulaye Konaté tisse patiemment sa cote

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Exposées aux quatre coins du monde, les œuvres textiles du maître malien ont connu une année record sur le second marché en 2023. En deux adjudications, Konaté s’est hissé parmi les 2 000 artistes les plus remarquables du monde des enchères. Une de ses œuvres, Suprématie Ashanti, est présentée à Hong Kong par 1-54, du 26 au 30 mars.

Né en 1953 à Diré, Abdoulaye Konaté trouve son expression dans le textile au début des années 1990, utilisant d’abord le coton puis le bazin en toiles de fond pour des installations aux fondements socio-politiques. Aujourd’hui, c’est dans le quartier ACI 2000 de Bamako qu’il compose des tableaux à la lisière de la peinture, la sculpture et l’installation. Aidé par son équipe d’assistants, il découpe et recoud des languettes de tissu qui, placées bout à bout et superposées, donnent des œuvres magistrales aux chromatismes subtils. Il réalise de grands formats, souvent réservés aux institutions, aux fondations et aux musées, ainsi que des pièces plus petites répon- dant mieux aux besoins des collectionneurs privés. Au-delà de la délectation esthétique que peuvent procurer ses œuvres, leurs jeux de reliefs, de formes et de camaïeux offrent à la fois des dialogues avec la nature, dans leurs dégradés colorés, et avec les cultures, à travers des motifs et des techniques réactivant des savoirs et des liens communs à l’humanité. Après une formation en peinture à l’Institut national des arts de Bamako, Abdoulaye Konaté fait ses gammes à l’Instituto Superior de Arte de La Havane de 1978 à 1985 et expose déjà le fruit de ses recherches à la Biennale de La Havane, en 1984 puis 1986. À une époque où l’intérêt pour les artistes africains commence à vibrer ailleurs, ses œuvres entament leur grand voyage, à la Banque mondiale à Washington en 1991, au Satagaya Museum de Tokyo en 1995 et à Dak’art en 1996, où il reçoit le Grand Prix Léopold Sédar Senghor pour un Hommage aux chasseurs du mandé. Cette œuvre composite plaît si bien qu’elle est demandée pour diverses expositions à Bamako, Dakar, Paris ou Tokyo.

Vendu 730 000 $ - Abdoulaye Konaté, Papillon bleu pour Fès, 2016, technique mixte, 246 x 403 cm. © Artcurial

Loin de toute spéculation

En 2002, Konaté marque profondément les esprits, à l’occasion de l’ouverture de la Coupe d’Afrique des nations, en recouvrant le stade d’une gigantesque toile créée en hommage aux victimes du sida. La même année, il est fait doublement chevalier, de l’ordre national du Mali et de l’ordre des Arts et des Lettres de la France. Puis ses œuvres tracent leur route à « Africa Remix » à Düsseldorf, Paris, Londres (2005), à la Documenta de Kassel (2007) et jusqu’à New York où, en faisant l’acquisition d’une œuvre majestueuse en 2015 (Bleu n°1, 234 x 368,9 cm), le Metropolitan Museum of Art confirme aux yeux du monde que Konaté doit être considéré comme l’une des grandes figures de l’art actuel.

2022 marque sa reconnaissance en tant que « maître » à la biennale de Dakar, tandis que, demandé partout, il expose à Kassel pour la Documenta, au Japon, à Casablanca avec la Galerie 38, à la foire 1-54 de Londres avec la galerie Primo, tout en participant à des expositions de groupe au Ghana, au Danemark et en Suisse. Exposées aux quatre coins du monde, ses œuvres stimulent une année record aux enchères en 2023.

Seules deux adjudications suffisent à hisser Konaté parmi les 2 000 artistes les plus remarquables du monde aux enchères de 2023, alors qu’il ne figurait pas parmi les 50 000 premiers grands noms du marché il y a dix ans. Les ventes de l’an dernier ont eu lieu au Maroc, où Papillon bleu pour Fès (2016) est partie pour 93 300 $ (« Moroccan & African Spirit », Artcurial Marrakech) : un record pour Konaté, qui indique que son marché n’est pas manipulé par la spéculation, certains artistes plus jeunes atteignant des prix nettement supérieurs.

La rareté des œuvres de Konaté aux enchères s’explique peut-être par le fait que les collectionneurs n’ont pas envie de s’en séparer. Ainsi, la cote progresse à l’image de leur créateur, avec patience et discrétion.

PAR CÉLINE MOINE, ARTMARKET BY ARTPRICE.COM