[Books] Il était une fois… Revue Noire

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Vingt ans après la disparition de Revue Noire, ses fondateurs reviennent sur une aventure hors du commun et interrogent rétrospectivement la raison d’être d’une revue consacrée à l’art contemporain africain. 

Il y a bientôt 30 ans paraissait le premier numéro de Revue Noire fondée par Jean Loup Pivin, Simon Njami, Pascal Martin Saint Leon et Bruno Tiliette. Pendant près de 10 ans, de 1991 à 2000, la revue dont les auteurs rappellent que le financement était essentiellement personnel, rendra compte de la créativité du continent africain, aussi bien dans le domaine de la littérature, du cinéma, de la mode que dans les arts plastiques ou la photographie. Un même attachement reliait chacun à ce continent dont Bruno Tiliette écrit qu’il lui a « révélé une autre vie et un autre monde possible ». Revenant sur la genèse de ce compagnonnage, Simon Njami se fait lyrique : « Nous concevions des délires voluptueux et gais comme le savoir », écrit-il ; là où Jean Loup Pivin, plus dramatique, rappelle que ces dix ans ont coïncidé avec les ravages du SIDA auquel sera consacré un numéro intégral : « C’est cette ombre de la mort qui a accompagné l’élan vital que constituait Revue Noire pendant ces 10 années de parution », affirme-t-il ajoutant que cela « peut-être lui a donné sa profondeur ».

Dix ans pendant lesquels la revue sillonne la plupart des continents et consacre des numéros au Sénégal, au Bénin, mais aussi aux Caraïbes ou à l’Océan Indien. La photographie règne en maître et donne naissance à plusieurs publications dans les différentes collections créées par la revue, qui se poursuivent aujourd’hui. N’Goné Fall, aujourd’hui à la tête de la saison Africa 2020 en France, intègre la rédaction en 1994, et devient deux ans plus tard directrice de rédaction.

Revue Noire – Histoire Histoires, éditions Revue Noire

Dépasser le post-colonialisme

Trente ans après, quel est le constat ? Une certaine amertume affleure entre les pages concernant les crispations identitaires qui sont les nôtres aujourd’hui. Dans leur volonté de rendre compte de la créativité du continent, les fondateurs espéraient dépasser les notions de post-colonialisme qui, le constate Simon Njami, se retrouvent désormais dans le concept de colonialité. Si le marché de l’art contemporain s’est ouvert à la création africaine, cela ne va pas sans une certaine uniformité que pointent les auteurs. En leur temps déjà, Jean Loup Pivin et Pascal Martin Saint Leon regrettaient que les artistes des « Magiciens de la terre » (exposition curatée en 1989 par Jean-Hubert Martin, ndlr) aient « monopolisé le marché », là où Revue Noire cherchait à mettre en avant « d’autres artistes d’une Afrique plus urbaine ».

Au final, l’ouvrage nous invite à réfléchir à la raison d’être d’une revue consacrée à l’art contemporain africain et aux difficultés d’englober toute la diversité de la production artistique du continent par l’appellation réductrice d’art africain. Peut-être faut-il pour cela garder en mémoire ces formules étincelantes de Njami affirmant que l’Afrique « n’a jamais rien été d’autre qu’une métaphore » et que sans doute, elle représente « dans sa profondeur, le royaume de l’immatérialité ». 

Revue Noire – Histoire Histoires, éditions Revue Noire, septembre 2020

Olivier Rachet