[VENTE] Cubisme, SAPE et nouvelles technologies, les artistes de la prochaine vente PIASA naviguent entre appropriation et interculturalisme

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L’épineuse question de l’appropriation culturelle secoue régulièrement les milieux intellectuels européens et africains. Une réflexion que mènent depuis plusieurs années des artistes comme Samuel Fosso ou Chéri Samba dont les œuvres seront proposées à la vente par PIASA, le 7 octobre. 

Retour des objets d’art en Afrique ? Trois ans après le discours d’Emmanuel Macron à Ouagadougou, l’actualité a remis au centre du débat l’enjeu des restitutions. À travers ces retours se pose la question de l’appropriation culturelle que l’on retrouve en filigrane dans la prochaine vente organisée par Christophe Person, le directeur du département Art contemporain africain de la maison PIASA.

S’il est aujourd’hui établi que les avant-gardes européennes du début du XXème se sont inspirées de la statuaire africaine pour renouveler la représentation du réel, les artistes africains ont, eux aussi, usé et détourné des références occidentales pour s’inscrire dans une histoire de l’art faite d’échanges et d’emprunts mutuels. Notamment à travers la figure du SAPEUR, motif récurrent dans la peinture contemporaine africaine.

Chéri Samba (né en 1956, République Démocratique du Congo) Hommage aux anciens créateurs, 1999 Estimation : 15 000 / 25 000 €

APPROPRIATION PHYSIQUE ET ESTHÉTIQUE DE L’ART AFRICAIN

Précurseur, Chéri Samba peignait en 1999 la toile Hommage aux anciens créateurs dans laquelle il évoque déjà les œuvres d’art africaines exposées dans les musées européens. Avec l’humour si caractéristique des peintres populaires congolais dont il est le chef de file, Chéri Samba peint un plaidoyer pour ces statuettes déracinées qui n’ont pas pour autant perdu « leurs pouvoirs surnaturels ». Et le peintre s’étonne avec une ironie à peine voilée que le collectionneur de ces objets ne connaît pas l’Afrique : « Je me demande : y a-t-il beaucoup de collectionneurs comme M. Coray ? » Samba rend hommage à ces créateurs africains anonymes dont les œuvres ornent les plus grandes institutions occidentales. Il devance de 20 ans le débat qui secoue aujourd’hui les sociétés européennes et africaines sur les modalités de retour des œuvres dans les pays d’origine. Faut-il les exposer comme objets d’art ou les rendre à leur dimension rituelle et magique ?

Franck Kemkeng Noah (né en 1992, Cameroun) Le Louvre au rythme de JUJU dance, 2019 Estimation : 3 000 / 5 000 €

Cette (ré)appropriation des temples de la culture européenne est au centre du travail minutieux de Franck Kemkeng qui introduit au sein du Louvre ou du Vatican ses danseurs traditionnels camerounais. Qui est tributaire de l’autre ? Franck Kemkeng préfère parler d’interculturalisme. Ses danseurs deviennent délégations. Car il est bien question de rééquilibrage dans le travail de nombreux artistes du continent. Réhabiliter une histoire visuelle de l’Afrique comme avec Samuel Fosso qui se travestit aussi bien en Patrice Lumumba qu’en Angela Davis ou en pape noir. Une de ses photographies emblématiques de la série Tati sera proposée à la vente. Face à la puissance des canons esthétiques occidentaux, les artistes africains s’en approprient les codes pour faire émerger une histoire de l’art africaine. Paradoxal ? Avec Lamenting upon misrepresentation of the African History, Bambo José Sibiya esquisse au centre du tableau un nu qui rappelle avec ironie la tradition du modèle occidental et l’asymétrie qu’elle instaure entre celui qui regarde et celui qui est regardé ; celui qui raconte et celui qui est raconté. Les cadres rococo vides de tout contenu à l’arrière-plan de la composition sont comme autant de pages blanches d’une histoire trop longtemps occultée.

Robin O. Mbera (né en 1982, Kenya) Breadwinner, 2014 Estimation : 2 500 / 4 500 €

APPROPRIATION DANS LA CULTURE AFRICAINE DE LA MODE OCCIDENTALE

De la découverte de nouveaux horizons par les peintres orientalistes il y a deux siècles aux résidences internationales qui essaiment aujourd’hui aux quatre coins du monde, l’histoire de l’art s’est construite sur la circulation des hommes et des idées. Si Picasso s’inspire des masques Bobo-Fing pour représenter ses Demoiselles d’Avignon, des plasticiens comme Patrick Akpojotor empruntent à leur tour le langage du cubisme pour créer des anthropomorphismes. Les sculptures d’Abou Traoré et de Robin M’Bera, en bronze et en basalte, possèdent une beauté formelle que pourrait revendiquer un Brancusi, qui lui-même s’inspira en son temps des figures de reliquaire Mahongwe (Gabon).

Peter Ngugi (né en 1978, Kenya) Mombasa, mombasa!, 2020 Estimation : 8 000 / 12 000 €

Mais c’est sans doute à travers le personnage du Sapeur, omniprésent dans la peinture contemporaine africaine, que se dessinent le plus clairement les emprunts assumés à la culture occidentale, note Christophe Person. Si La S.A.P.E (Société des Ambianceurs et des Personnes Élégantes) est affiliée au dandysme européen, elle est avant tout un pilier essentiel de la culture populaire congolaise (Congo Brazzaville et RDC). Il s’agit de s’approprier la mode occidentale pour créer un récit alternatif de la masculinité noire. Subversifs, les sapeurs d’un Zemba Luzemba s’habillent « avec et contre » cet imaginaire colonial qu’ils défient. Sous le régime de Mobutu, la S.A.P.E devient d’ailleurs symbole de résistance après l’interdiction du port de la cravate et la généralisation de l’Abacost. Si encore aujourd’hui, la S.A.P.E porte une charge subversive et anti-capitaliste à l’image des izikhothane boys en Afrique du Sud qui  brûlent leurs vêtements de marque en des autodafés publics, une nouvelle génération de peintres se fait plus critique. Chez Anjel, le Sapeur est contaminé par les grandes marques occidentales qui le fascinent. Dolet Malalu en fait un être burlesque aux yeux exorbités, tandis que Moustapha Baidi Oumarou ou Peter Ngugi les anonymisent. Chacun à leur manière, ils dénoncent les excès du self branding et d’un mouvement qui illustre l’interdépendance ambiguë entre Afrique et Europe.

La vente se déroulera le 7 octobre à 18 heures. « Une nouvelle fois, avec une sélection d’œuvres très contemporaines et qui traitent de nombreux sujets de société actuels, nous souhaitons élargir le spectre de collectionneurs d’art contemporain africain », conclut Christophe Person.

La rédaction pour PIASA