David Uzochukwu, s’extraire du western gaze

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Les portraits de ce photographe autodidacte de 24 ans ont fait le tour du monde. L’artiste austro-nigérian développe une imagerie à la fois intime et politique qui célèbre l’union des contraires.

David Uzochukwu appartient à cette génération de slasheurs qui ont été propulsés sur le devant de la scène en s’appropriant les réseaux sociaux. Réalisateur et photographe, il assure aussi la post-production digitale de ses travaux, qu’il mène en parallèle de ses études en philosophie. En plus de ses séries personnelles, il a été commissionné par de grandes maisons comme Dior et Hermès et a collaboré avec Pharell et FKA Twigs. Une ascension fulgurante qu’il accueille avec lucidité et humilité.

L’artiste de 24 ans a commencé la photographie à l’adolescence par des autoportraits. Un exercice de performance qu’il considère comme « épuisant émotionnellement » mais cathartique. Son travail est le résultat d’un processus méticuleux : il collecte d’abord des images de la nature et des éléments, puis travaille ses compositions sous forme de croquis avant de passer à la mise en scène du shoot puis au collage de pixels en post-production.

Stake Out, 2019. Courtesy de l’artiste et Galerie Number 8.

De retour de la foire 1-54 New York, où il a présenté sa série Mare Nostrum, Where I drown my magic initiée en 2016, Uzochukwu confie avoir été agréablement surpris de l’accueil qu’il a reçu, mais aussi avoir rencontré une nouvelle garde de jeunes collectionneurs noirs. Car si son travail n’est pas d’abord motivé par un désir de représentation, cette série particulière répond à l’ambivalence des projections occidentales sur le corps noir : d’un côté, le cliché du noir en colère qui représente le danger, et de l’autre, une fétichisation grandissante de la culture africaine.

En questionnant le rapport entre le corps noir et l’eau, la série fait aussi écho à la traite négrière et à la crise migratoire actuelle qui déshumanise ces corps. On parle d’ailleurs de « vagues » de migrants. Son propos est donc ici de les représenter dans toute leur force et leur pouvoir, et de les placer dans un environnement rassurant là où l’eau a toujours été un milieu hostile. Uzochukwu y oppose la force et la vulnérabilité, l’exhibition et l’invisibilité, la grâce et l’effroi. Un discours qui vient repousser les frontières, qu’elles soient mentales ou géographiques, et rendre l’intime politique.

Streak, 2019. Courtesy de l’artiste et Galerie Number 8.

Uzochukwu admet être prudent lorsqu’il montre son travail afin d’éviter d’être l’objet lui-même de projections : « C’est un fardeau que beaucoup d’autres artistes n’ont pas à porter dans la mesure où leur œuvre se suffit à elle-même. J’ai toujours peur d’être réduit à un travail de représentation », confesse-t-il.

Après l’accueil qu’il a reçu à Dakar, Saint-Louis ou Lagos, l’artiste qui participe en octobre aux Rencontres de Bamako s’enthousiasme à l’idée de présenter davantage de travaux en Afrique. Une façon pour lui de s’extraire de l’essentialisation du « western gaze » et de revenir à son objet premier : réaliser un travail d’abord introspectif pour ensuite s’ouvrir au monde.

Chama Tahiri

Styx, 2020. Courtesy de l’artiste et Galerie Number 8.
Immortal, 2015. Courtesy de l’artiste et Galerie Number 8.
Timoer, 2017. Courtesy de l’artiste et Galerie Number 8.
Rising, 2015. Courtesy de l’artiste et Galerie Number 8.