[EDITO #52] La leçon de Saint-Louis

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Meryem Sebti, Directrice de la publication et de la rédaction du magazine Diptyk

Contre vents et marées à Rabat, le Fort Rottembourg fraichement restauré accueillait début janvier le Musée de la photo. « Sourtna », son exposition inaugurale dont nous livrons un beau texte critique, a soulevé bien des questions : la photographie, quelle photographie ? Quelle scène ? Quel curating ? Quelle conservation ? L’humidité, l’océan… Quelques semaines plus tard, Amadou Diaw, dont vous lirez dans ce numéro un magnifique entretien dans la rubrique « La Collection », a convié notre magazine à Saint-Louis. C’est une île aux confins du Sénégal. Grande capitale de l’Afrique occidentale au début du XXe siècle, puis capitale du Sénégal et de la Mauritanie, la « Venise africaine », bien que classée au répertoire du patrimoine par l’Unesco depuis l’an 2000, lutte contre le sable, l’étiolement et l’oubli.

Parmi les photographes, musiciens, intellectuels et amis qu’il aime réunir à Saint-Louis, Diaw explique comment et pourquoi il a fondé en 2017 la constellation MuPho (du Musée de la photographie) : plusieurs maisons coloniales restaurées pour abriter de la photo ancienne, contemporaine, des archives sur les Indépendances… disséminées dans cette ville-île qui l’a vu naître et dont il veut chanter l’histoire et la beauté à la face du monde. « Cela ne peut pas être personnel. Mon bonheur vient du fait de partager des moments autour d’une belle oeuvre avec d’autres. […] Il y a beaucoup de pédagogie dans ce que je fais, comme l’exposition sur les Indépendances en Afrique, que j’ai ouverte à tous les lycéens, aux chercheurs, etc. Au-delà de l’art, on trouve une forme d’utilité à notre société. Mon but est aussi de stimuler la créativité de manière générale. »

Rabat n’est pas Saint-Louis. Et l’engagement privé et philanthrope d’un homme là-bas, n’est pas comparable à l’action d’une fondation nationale qui porte la volonté du souverain. Mais ce qui se joue, ici comme là-bas, c’est l’urgence d’un partage des images et des émotions, d’une articulation entre l’histoire, la grande et la petite, et la création contemporaine, par delà les commentaires produits par les grilles de lecture post-modernes occidentales.

Tout comme les demeures coloniales fouettées par le sable de Saint-Louis accueillent la jeunesse des quartiers voisins, à Rabat, face à l’océan, ce fort dont la mémoire est restituée invite les habitants à traverser le boulevard pour mélanger leurs images à celles de leurs contemporains et se fabriquer une mémoire visuelle dont ils seront les auteurs. Cette fabrique de culture doit être, dans nos pays, la seule vocation des espaces muséaux, privés et publics.

Meryem Sebti
Directrice de la publication et de la rédaction

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