En 2021, le marché ne s’est jamais aussi bien porté

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En 2021, le marché de l’art mondial est revenu à son plus haut niveau grâce à la capacité d’innovation des principales maisons de ventes internationales, qui ont même élargi leur audience. Une dynamique qui se confirme aussi dans le monde arabe, où le Maroc affiche la plus forte croissance.

L’un des faits les plus éloquents après deux années de pandémie est l’appétit maintenu, envers et contre tout, pour les oeuvres d’art. Les ventes d’oeuvres se sont poursuivies au plus fort de la crise sanitaire grâce au basculement des ventes en ligne. Les connexions ont explosé dès le premier confinement : les SVV (sociétés de ventes volontaires) ont fait part d’un enrichissement de leur audience, avec l’arrivée de nouveaux enchérisseurs, souvent plus jeunes. Cet élan s’est poursuivi tout au long de l’année 2021 avec un record historique du nombre d’oeuvres vendues à travers le monde et un taux d’invendus au plus bas, dans tous les segments de marché. Totalement mondialisées par leur présence en ligne, les enchères ne cessent de conquérir de nouveaux adeptes.

Le marché a aussi renoué avec une offre prestigieuse qui lui faisait défaut l’année précédente. Les prestigieuses collections Cox et Macklowe ont obtenu des résultats à la mesure de leur qualité hors norme : 332 millions $ pour la première chez Christie’s et 676 millions $ pour la deuxième chez Sotheby’s, du jamais vu pour une collection privée depuis la vente de la collection Rockefeller en 2018 (832 millions $). Le dernier fait marquant de l’année écoulée est l’arrivée des NFT sur le marché des ventes réglementées, sujet qui a multiplié les gros titres dans la presse pour les records millionnaires obtenus. Le plus important étant que cette technologie prolonge l’évolution des enchères dématérialisées vers une révolution systémique, en impliquant de nouvelles façons de créer des œuvres et de la valeur, tout en engageant de nouveaux modes de collection et d’échange.

Edward Snowden, Stay Free, 2021. Composée à partir des pages d’un jugement rendu par la Cour d’appel des États-Unis, d’après un portrait du photographe britannique Platon, cette oeuvre fait partie des cinq NFT les plus chers adjugés en 2021. © Edward Snowden Foundation - Vendu 5 200 000 $

Hong Kong dans la cour des grands

Épicentre des ventes occidentales les plus prestigieuses, New York dépasse d’un milliard $ les performances de 2019, avant la crise sanitaire. Cette extraordinaire performance tient à une forte reprise du marché haut de gamme, qui avait été très contraint au plus fort de la pandémie. C’est à New York que Christie’s et Sotheby’s ont vendu neuf des dix oeuvres les plus chères de l’année 2021, chacune valorisée à plus de 60 millions $. Les résultats new-yorkais ont fortement augmenté pour toutes les grandes sociétés de ventes, mais la progression de Sotheby’s est de loin la plus impressionnante, son produit des ventes Fine Art gagnant 37 % depuis deux ans. Le marché européen a lui aussi renoué avec une formidable dynamique : la France passe pour la première fois le seuil du milliard $ de produit de ventes annuel, lorsque l’Allemagne, l’Italie, la Pologne font preuve de renouveau à l’aune des deux dernières années. Essentielle dans la santé du marché occidental, l’activité de Christie’s et Sotheby’s y est en pleine croissance : la société américaine Sotheby’s, qui a réalisé une année exceptionnelle à Paris, va désormais participer pleinement à l’activité du marché allemand avec l’ouverture de nouveaux locaux à Cologne.

La poussée la plus importante se situe pourtant à l’Est, avec Hong Kong qui ne cesse de monter en puissance. Le marché y est en pleine expansion, les enchérisseurs très motivés, les taux d’invendus plus bas que n’importe où ailleurs – et souvent nuls – et l’offre s’y diversifie de plus en plus. Hong Kong semble en effet avoir trouvé son équilibre en réunissant le meilleur de l’offre asiatique et des artistes occidentaux. Les adjudications obtenues sur place pour des artistes occidentaux de l’envergure de Jean-Michel Basquiat ou de Richard Prince sont désormais aussi importantes que les niveaux de prix new-yorkais. Sotheby’s estime que les collectionneurs asiatiques sont prêts à enchérir le double de la valeur (en moyenne) des enchérisseurs d’autres régions du monde. La place de marché hongkongaise progresse si rapidement qu’elle pourrait, à moyen terme, dépasser le marché britannique et devenir la deuxième place de marché mondiale.

Aydin Aghdashloo, Memories of Hope, 2020, gouache et crayon sur carton, 76 x 116 cm. © Tehran Auction - Vendu 600 000 $

L’Iran porté par les jeunes collectionneurs

Au Moyen-Orient, le marché doit sa dynamique à ses propres artistes. Les grandes signatures internationales n’y étant pas, ou peu, représentées, sa croissance repose d’abord sur l’évolution des prix de celles et ceux qui ont marqué le paysage culturel du XXe siècle. Des signatures nationales, d’abord iraniennes, marocaines et libanaises, qui pour certaines ont percé le marché international. L’Iran est la première place de ventes aux enchères du Moyen-Orient et le 21e pays mondial, avec 36,2 millions $ d’œuvres d’art vendues au cours de l’année 2021. Le marché de l’art iranien se renforce avec un chiffre d’affaires en progression de 69 % pour 22 % de lots vendus supplémentaires entre 2019 et 2021. De l’avis des acteurs du marché local, beaucoup de nouveaux collectionneurs, très jeunes, sont actifs. Tous manifestent un intérêt pour les artistes établis, à la cote stable, plutôt que pour les artistes émergents.

La plus belle vente iranienne de l’année dernière a été la 13e édition de Tehran Auction (15 janvier 2021), rapportant près de 4 millions $, dont 600 000 $ pour le diptyque Memories of Hope (2020) d’Aydin Aghdashloo, contre une estimation dix fois moindre. D’autres artistes phares, tels que Parviz Tanavoli, Charles Hossein Zenderoudi et Mohammad Ehsai ont généré des ventes comprises entre 350 000 et 411 000 $. Le potentiel iranien est immense… Christie’s avait d’ailleurs envisagé d’ouvrir une antenne sur place il y a une vingtaine d’années mais elle a dû y renoncer face aux incertitudes du contexte politique et aux sanctions économiques qui affectaient déjà le pays.

Etel Adnan, Sans titre, 1973, huile sur toile, 81 x 65 cm. © Sotheby’s Vendu 483 000 $

Les prix grimpent au Maroc

Le Liban (19,7 millions $ annuels) est le pays affichant la plus forte croissance parmi les autres pays du Moyen-Orient. Les collectionneurs libanais actifs font progresser le marché intérieur de façon spectaculaire, avec un volume d’affaires en hausse de 449 % pour une poussée des transactions de l’ordre de 120 %. À l’échelle mondiale, les artistes libanais jouent dans la cour des grands, certains étant fermement soutenus par les collectionneurs internationaux. Les artistes de nationalité libanaise n’avaient jamais réussi une telle performance mondiale, leur résultat annuel étant passé de 9 millions à 22 millions $ en 2021. L’artiste actuellement la plus recherchée est Etel Adnan, qui s’est éteinte le 14 novembre dernier à Paris, à l’âge de 96 ans. Lors de la vente Contemporary Art Evening Auction du 14 octobre 2021, l’une de ses toiles a pris son envol au quadruple de l’estimation haute pour atteindre un sommet de 483 000 $. Un bond important dans la revalorisation de cette artiste majeure, dont le dernier record personnel affichait 171 000 $ depuis 2019 (Untitled, 1960, Sotheby’s Londres, 30 avril 2019). Outre Etel Adnan, les artistes les plus convoités dans les maisons de ventes libanaises se nomment Yvette Achkar, Saliba Douaihy, Zena Assi, Ayman Baalbaki, Helen Khal, Hussein Madi, Amine El-Bachal… Leurs plus belles oeuvres dépassent désormais allègrement les 100 000 $.

Mohamed Melehi, Composition, 1970/71, peinture cellulosique sur panneau, 110 x 95 cm. © Artcurial - Vendu 1 300 000 MAD

Troisième grande place de marché du monde arabe, le Maroc se hisse à la 34e place mondiale avec 7,8 millions $ de résultat annuel pour 237 lots seulement vendus l’année dernière. Les prix ont tendance à grimper (produit des ventes en hausse de 158 % pour des transactions stables) grâce au travail de quelques peintres convoités, parmi lesquels Ahmed Cherkaoui, Abbès Saladi et surtout Mohamed Melehi, dont l’indice des prix a flambé de 560 % en une dizaine d’années. Clé de ce succès : Melehi est porté par une multitude de collectionneurs prêts à se damner à plus de 100, 200, voire 300 000 $ pour l’une de ses éclatantes compositions. Près de 3,8 millions $ de ses oeuvres ont été échangées aux enchères l’année dernière, depuis Casablanca, Paris et Londres.

Dans le monde arabe comme ailleurs, les ventes en ligne qui se sont développées suite aux restrictions sanitaires ont dopé le marché de l’art, invitant notamment les collectionneurs des diasporas à soutenir un marché qui leur tient à coeur. La dernière vente Artcurial du 30 décembre dernier, « Un hiver marocain », a mobilisé des clients de 30 nationalités différentes. Cet éventail d’acheteurs résolument international est essentiel pour consolider le marché et accélérer son évolution en 2022.

Céline Moine, Artmarket.com