Fatiha Zemmouri, une géographie de l’intime

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À mi-chemin entre gravures rupestres et une forme inédite d’art cinétique, les récentes œuvres de Fatiha Zemmouri témoignent d’un corps-à-corps quasiment amoureux avec la terre. Cette dernière série est à voir au Comptoir des Mines à Marrakech jusqu’au 24 avril.

Au commencement était la terre, celle de la région de Tahanaout où Fatiha Zemmouri s’est installée il y a bientôt quatre ans, après avoir quitté l’agitation urbaine casablancaise. « J’ai commencé par réfléchir à la façon dont je suis affectée par les propriétés physiques de ce lieu, explique-t-elle, et à la façon dont il
entre en résonance avec mon travail. » Cette terre ocre qui ne cesse de l’émerveiller est tout d’abord récupérée par l’artiste dans un geste quasiment amoureux et très ritualisé : « Il y a souvent une forme de sacralisation de l’espace dans lequel on vit, qui se traduit toujours par un acte poétique. » La terre, qui représente aussi bien « les saisons, le labour, l’attente que l’intensité du ressenti », est alors spatialisée dans des cadres, après avoir été mélangée simplement à de l’eau. Technique archaïque qui n’est pas sans évoquer la poterie, à la différence près qu’il ne s’agit pas ici de façonner des objets mais d’organiser à l’intérieur d’un cadre des formes graphiques. En s’évaporant, l’eau laisse le plus souvent des traces, sous forme de craquelures à partir desquelles l’œuvre se construit.

Les bâtisseurs, 2022, terre crue et pigments sur panneau en bois, 170 x 130 cm. Courtesy de l’artiste et Comptoir des Mines

Alors qu’elle privilégiait jusqu’à présent des matériaux plus durs tels que le bois ou la céramique, la pâte onctueuse qu’elle travaille désormais induit un rapport plus doux à la matière : « Une forme de symbiose se crée alors, la matière s’offre entièrement à moi ». À l’aide de différentes raclettes en métal, elle laisse librement s’épanouir des formes géométriques auxquelles sont ajoutés des pigments naturels dont la perception varie en fonction des effets de la lumière ou de la place occupée par le visiteur dans l’espace. Vue de profil ou de face, chaque œuvre donne alors l’impression de vibrer pleinement. Est-ce la maîtrise technique, à mi-chemin de la gravure rupestre et de l’art cinétique, qui séduit autant le regard ? Est-ce le processus alchimique qui voit l’artiste transformer la boue en une cartographie de l’intime rejoignant le cycle de la nature qui nous émeut ? On ne sait vraiment, mais on éprouve le plus grand respect pour un geste empreint tout autant d’humilité que de perfection plastique. L’exposition « Habiter la terre », qui montre cette dernière série d’œuvres, est à voir au Comptoir des Mines à Marrakech jusqu’au 24 avril.

Olivier Rachet

Visuel en Une : Empreinte carbone 2, 2022, terre crue et pigments sur panneau en bois, 130 x 170 cm. Courtesy de l’artiste et Comptoir des Mines