La Biennale de Lubumbashi amplifie le regard du Sud

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Après trois ans d’arrêt, et une édition reportée, la Biennale de Lubumbashi s’est tenue dans un climat de réinvention post Covid entre un enracinement local assumé et une volonté d’amplifier le regard du Sud.

Changement de cap pour la biennale de Lubumbashi ? Critiquée pour son manque d’ancrage local les années précédentes, son édition 2022 aura offert une large place aux artistes congolais – 43 sur les 62 exposés, soit 78% des artistes présents. Mieux, grâce à son programme de mentorat mené depuis 2017 pour accompagner les artistes locaux, elle a permis à une dizaine d’entre eux d’exposer pour la première fois dans un événement d’envergure internationale.

La réinvention voulue par les organisateurs, l’association Picha, s’est aussi matérialisée dans son équipe curatoriale. « En 2019, Sandrine Colard avait été débordée », révèle Jean Katambayi, membre de l’équipe de coordination. Picha a cette année fait appel à cinq curateurs associés et un conseiller curatorial, Ugochukwu-Smooth Nzewi. De fait, une densité et un rythme soutenu ont marqué cette Biennale 2022 qui a décliné ses gammes sur le thème de “ToxiCité”. “Ce thème est fascinant parce qu’il résonne avec plusieurs domaines, souligne Smooth Nzewi. Cette résonance va des relations entre les humains aux questions écologiques avec les effets de la pollution sur l’Afrique ou encore la toxicité de l’histoire coloniale qui ne concerne pas seulement le Congo, mais le continent. »

Crédit photo : Iragi Elisha,

À l’Institut des Beaux-Arts, le projet  « Ex in-situ » de Luigi Coppola, mené avec les jeunes artistes congolaises Mélissa Jina et Merkal Abilwa, mettait ainsi en avant les solutions de dépollution des sols grâce à des plantes endogènes au Congo. Présentée sous forme d’illustrations exécutées à la main sur des toiles kaki, l’exposition a trouvé un public jeune et curieux.

De même, le projet On-Trade-Off, fruit d’une longue collaboration entre plusieurs artistes, a rappelé que la Biennale de Lubumbashi s’inscrit toujours dans les réalités congolaises, notamment sur la question de l’exploitation minière. Gulda el Magambo, George Nsenga  ou encore Paméla Tulizo avec sa série photo Matrice ont interrogé les disparités entre les conditions de vie des femmes qui travaillent dans les carrières artisanales de lithium de Manono et les riches objets technologiques produits grâce à la matière première extraite au Congo.

Crédit photo : Iragi Elisha,

« ToxiCité » prolongé en 2024

Mais c’est peut-être la collaboration avec le village de Makwacha, situé à 50 km de Lubumbashi, qui illustre le mieux ce rapprochement avec le public voulu par la biennale. Des mannequins professionnels ont défilé, aux côtés des enfants du village, habillés des robes, gilets, pantalon et des créations de la styliste Nilla Banguna. Les femmes de Makwacha perpétuent un savoir-faire local des peintures murales que la Biennale met en avant. « Je travaille avec ces femmes depuis 2018, elles ont gardé une culture ancestrale et c’est un honneur de faire découvrir les merveilles de Makwacha dans un événement internationale », a-t-elle déclaré. « Nos motifs représentent la forêt, le travail manuel, des séries graphies que Picha nous a suggérées pour des impressions sur tissu », expliquait Ma Josephine, une de deux leaders des femmes de Makwacha. Ma Fernanda, qui collabore avec Picha depuis 2008, veut « transmettre aux filles le savoir et s’ouvrir aux connaissances qui amènent leur savoir dans d’autres pays. »

Cette édition a été foisonnante. Les Palabres, un programme de discussions entre spécialistes et artistes, s’est révélé être un des atouts précieux de cette 7ème édition grâce aux échanges passionnants sur le thème de « Toxicité ». Organisés dans les universités et les centres culturels de la ville, ces palabres ont drainé du monde vers un terrain de réflexion. Un terreau fertile qui a convaincu les organisateurs de reprendre le thème « ToxiCité » en 2024. Car c’est bien lors de l’édition prochaine que les promesses entrevues cette année doivent être confirmées.

Iragi Elisha, Lubumbashi