La blockchain, une opportunité pour l’art africain

Plusieurs projets de musées consacrés aux NFT émergent depuis 2020.

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Pourquoi les NFT font-ils figure de petite révolution dans le milieu de l’art numérique ? Sans doute parce que ces fichiers numériques sécurisés permettent de posséder une œuvre digitale qui, par essence, n’appartient à personne puisque diffusée sur internet. Cette privatisation est rendue possible par la technologie de cryptage blockchain. Comme « un cadastre incorruptible » qui stocke et transmet l’information, la blockchain est considérée par le monde de l’art comme un outil infalsifiable d’authentification ou de traçabilité de l’œuvre. Si elle ouvre des perspectives d’acquisitions et d’investissements nouveaux comme le démontre l’actuel engouement pour les NFT, elle apporterait aussi une réponse aux problèmes de droits d’auteurs dans les pays où le droit de suite n’est pas garanti, selon l’avocat Stéphane Brabant dont nous republions l’entretien réalisé l’an dernier.

Stéphane Brabant, avocat associé chez Herbert Smith Freehills à Paris prône le recours à la technologie blockchain dans le milieu de l'art.

Vous appelez à s’intéresser à la technologie blockchain pour remédier aux problèmes de protection des droits d’auteur des artistes. Pourquoi?

Cette technologie pourrait répondre aux problématiques liées à la propriété, la provenance et l’authenticité des œuvres d’art par sa capacité à stocker toutes sortes d’informations (auteur, prix, historique d’expositions et de ventes passées, etc.). Grâce au système de sécurité cryptographique, ces informations inscrites sur la blockchain seraient infalsifiables après leur validation. Les artistes et l’ensemble des acteurs du marché de l’art auraient à gagner à ce surplus de transparence, de traçabilité et de fiabilité des informations concernant les œuvres d’art.

En quoi la blockchain pourrait-elle garantir les droits d’auteur des artistes africains, par exemple?

Le droit de suite est le droit inaliénable des artistes et de ses ayants cause à percevoir un pourcentage du prix de vente d’une œuvre d’art lorsque celle-ci est revendue. Consacré par la Convention de Berne, le droit de suite est subordonné à une condition de réciprocité : un artiste n’en bénéficie que si ce droit est reconnu à la fois dans son pays de nationalité et dans le pays où son œuvre est revendue. En Afrique, seuls une dizaine de pays reconnaissent le droit de suite des artistes : l’Algérie, le Bénin, le Burkina Faso, le Cameroun, le Congo, la Côte d’Ivoire, le Gabon, la Guinée, Madagascar, le Mali et le Sénégal, selon la Société des auteurs dans les arts graphiques et plastiques (Adagp). Avec la blockchain, les artistes ressortissants de tels pays pourraient être informés chaque fois que leur œuvre est revendue dans des salles de vente ou à l’étranger, ce qui devrait renforcer l’exercice effectif de leur droit de suite.

« Grâce à la Blockchain, l’artiste serait automatiquement rémunéré lors des reventes de ses œuvres et profiterait ainsi de la valorisation de celles-ci sur le marché de l’art »

Mais comment la blockchain peut-elle renforcer ce droit de suite lorsque le cadre législatif ne contraint pas à le garantir?

En l’absence de tout droit de suite, rien n’empêche l’artiste et l’acquéreur de convenir par contrat des modalités ayant un effet équivalent. Ils peuvent notamment stipuler une obligation de paiement, à la charge de l’acquéreur, d’un pourcentage de la plus-value enregistrée à l’occasion de toute cession future de l’œuvre d’art, cette obligation étant transmissible de plein droit à ses héritiers et ayants cause. Dans ce cas, la blockchain pourrait automatiser le paiement de ces droits à travers l’application du smart contract, un programme informatique permettant l’exécution automatique de clauses contractuelles sous certaines conditions convenues par avance. L’artiste serait alors automatiquement rémunéré lors des reventes de ses œuvres et profiterait ainsi de la valorisation de celles-ci sur le marché de l’art.

La blockchain efface les intermédiaires. A termes les maisons de vente aux enchères, elles-mêmes intermédiaires, ne risquent-elles pas de disparaître?

Je ne pense pas que la blockchain constitue une menace pour les maisons de vente aux enchères. Au contraire, la blockchain pourrait répondre à certaines de leurs préoccupations liées à la propriété, la provenance et l’authenticité des œuvres d’art. Les professionnels du marché de l’art pourraient appuyer leurs services d’expertise et d’estimation et augmenter ainsi leurs ventes. En ce sens, Christie’s, la première maison de vente aux enchères dans le monde, a récemment utilisé la blockchain à l’occasion de la vente de la collection privée « An American Place: The Barney A. Ebsworth Collection » en novembre 2018. Les ventes enregistrées via la plateforme blockchain Artory ont atteint la somme record de 317,8 millions de dollars. Je suis certain que d’autres maisons de ventes aux enchères et galeries d’art mettront en œuvre la blockchain dans les prochaines années à venir.

En juillet 2018, la plateforme blockchain Maecenas a vendu des participations représentant 31,5 % de l’œuvre d’Andy Warhol « 14 Small Electric Chairs » pour une valeur totale de 5,6 million de dollars. La blockchain révolutionne-t-elle le marché de l’art?

La blockchain présente en effet de nouvelles opportunités d’investissement dans le marché de l’art. Un artiste pourrait céder des participations dans son œuvre d’art sur une plateforme blockchain, où les investisseurs seraient libres d’acheter et vendre ces participations auprès d’autres investisseurs. Cela est particulièrement intéressant pour les artistes en recherche de financement, mais aussi pour ceux ressortissants d’États où le droit de suite n’est pas reconnu par la législation nationale. À défaut de toucher une rémunération lors de la revente de son œuvre d’art, l’artiste pourrait vendre une partie de ses participations et rester copropriétaire de celle-ci en vue de profiter de sa valorisation à long terme.

Stéphane Brabant tient à remercier Julia Caudal pour ses précieuses recherches et assistance dans la préparation de cette entrevue.

Propos recueillis par Emmanuelle Outtier