Le MMVI retrace l’épopée de la photographie africaine

Pieter Hugo, The Hyena Men of Abuja, 2005, 100 x 100 cm. Courtesy Gervanne et Matthias Leridon. © Matthieu Lombard

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Si Rabat doit encore patienter pour briller comme première « capitale africaine de la culture » − un événement reporté depuis 2020 −, qu’à cela ne tienne ! Le Musée Mohammed VI débute cette saison au rythme de l’Afrique en dressant un panorama de la photographie du continent, depuis les portraits iconiques de Sidibé jusqu’aux audaces plasticiennes de jeunes créateurs.

C’est une première au Maroc. Avec le concours de grands collectionneurs internationaux, le MMVI retrace l’épopée de la photographie africaine, depuis le maître Malick Sidibé jusqu’à ses disciples portraitistes et plasticiens des années 2000, en passant par le photoreportage engagé des Sud-Africains. Jamais une exposition de photo africaine d’envergure n’avait été organisée dans le Royaume, qui plus est avec des artistes phares du continent : David Goldblatt, Zanele Muholi, Mário Macilau, Youssef Nabil, Guy Tillim… De fait, les deux expositions réunies sous le titre « Afrique(s) vue par ses photographes, de Malick Sidibé à nos jours » se veulent didactiques. Une aubaine pour le public marocain qui pourra s’initier aux grands mouvements de la photo africaine depuis les années 1960.

Le MMVI semble ainsi poursuivre son approche historique de la création depuis ses premiers coups d’éclat avec les expositions César, Giacometti ou Picasso. En parallèle, le musée tente d’inscrire les grands noms de l’art moderne marocain dans la rétine des visiteurs : Belkahia, Melehi, Bellamine… Quatre ans après l’événement « L’Afrique en Capitale », l’art issu du continent est désormais au coeur de la politique culturelle du musée, certainement en prévision des manifestations de « Rabat, capitale africaine de la culture ». Délaissant les salles exigües du Musée national de la photographie, qui accueillent pour l’instant les dernières acquisitions du ministère de la Culture, la Fondation nationale des musées (FNM) met à l’honneur l’histoire moderne et contemporaine de la photographie africaine, en choisissant de porter Malick Sidibé au pinacle. Un brin risqué lorsqu’on sait que Seydou Keita et Mama Casset l’ont précédé à Bamako et à Saint-Louis du Sénégal.

Outre les pionniers, c’est sur l’entrée de l’Afrique dans la modernité qu’a choisi de se pencher le comité scientifique de l’événement, dont fait notamment partie l’historienne de l’art Jeanette Zwingenberger et Salima El Aissaoui, médiatrice culturelle au MMVI. On imagine aussi que l’articulation de ce duo d’expos s’est adaptée aux trésors issus de grandes collections privées de photographie, qui en sont les principaux prêteurs : le dynamique duo Gervanne et Matthias Leridon, et l’oeil avisé de Michel Philippot.

Malick Sidibé, Toute la famille à moto, 1962-2010, tirage argentique, 100 x 100 cm. Collection privée. © Malick Sidibé

Des collections stars

Tout comme elle a su puiser dans les meilleures institutions internationales pour l’art moderne occidental, la FNM a sollicité des collectionneurs phares de la photo africaine. « Africa is the future », répète à tue-tête le couple Leridon. Chacun a découvert l’Afrique dans son jeune âge, Gervanne petite enfant et Matthias à l’adolescence, avouant avoir « eu l’impression de rentrer chez moi », une fois foulé le sol burkinabé lors de son premier voyage sur le continent. Grands protecteurs des créateurs africains, leur collection compte plus de 300 artistes de 34 pays différents, tous médiums confondus. Pour le MMVI, ils prêtent notamment un Pieter Hugo et un Malala Andrialavidrazana, dont ils sont très proches.

Michel Philippot est quant à lui l’un des regards les plus affutés de la presse française. Ancien photoreporter pour Sygma, ayant couvert de grands conflits comme ceux du Liban dans les années 1970-80, il a géré le service photo de VSD et a fini sa carrière au magazine Le Monde 2. L’Afrique, il l’a notamment approchée en participant en 2010 au livre de William Ropp Mémoires rêvées d’Afriques. Il présente entre autres au MMVI l’une des images les plus iconiques de la photo africaine : la Nuit de Noël de Malick Sidibé (1963), célèbre cliché représentant un couple dansant, autrement surnommé les « Roméo et Juliette bamakois ».

David Goldblatt, Shop Assistant, Orlando West, 1972, tirage platine. Courtesy Collection Gervanne et Matthias Leridon. © Matthieu Lombard

Et l’Afrique entra dans la modernité

Cette exposition permet surtout de retracer l’évolution de la photo africaine depuis les indépendances. Si les photos de Malick Sidibé diffèrent peu de celles que l’on aura déjà pu admirer à la Fondation Cartier en 2017, c’est la partie « Décodage » de l’exposition qui augure le plus de surprises. Les photographes africains y témoignent de la manière dont leur continent est entré dans la modernité du 20e siècle, et dont il négocie toujours avec les enjeux du 21e. Les héritiers de Sidibé ont ainsi produit moult variations sur les modèles identitaires et la représentation de soi, comme les pauses faussement narcissiques de Samuel Fosso qui répondent aux mises en scènes théâtrales du Zimbawéen Kudzanai Chiurai. La débauche de motifs textiles de Léonce Raphaël Agbodjelou, qui a par ailleurs créé la première école de photographie du Bénin, rend hommage au patrimoine purement africain, quand Hassan Hajjaj prône un cosmopolitisme assumé. Ce dernier a réalisé un petit film en hommage à Sidibé qui sera dévoilé à cette occasion.

Du point de vue social, les reportages poignants de Mikhael Subotzky grattent là où ça fait mal dans l’Afrique du Sud post-Apartheid, tandis que Musa N. Nxumalo dresse le portrait d’une jeunesse noire désabusée à Johannesburg. On garde un œil sur le Somalien Mustafa Saeed, 32 ans, qui pratique autant le reportage que la mise en scène plasticienne ou le photocollage. Tout comme ses consoeurs Osvalde Lewat, à la fois photographe et cinéaste, ou encore la Béninoise Moufouli Bello, aussi peintre. La FNM ne compte pas se contenter de ce panorama chronologique et stylistique africain. Bientôt seront mis à l’honneur Henri Cartier-Bresson avec le concours de sa fondation parisienne, le pionnier marocain Touhami Ennadre ou encore les mises en scènes grandioses de Gérard Rancinan. Au Maroc, la photo est définitivement entrée au musée.

Marie Moignard

« Afrique vue par ses photographes, de Malick Sidibé à nos jours », Musée Mohammed VI, Rabat, à partir du 11 octobre 2021.
Malick Sidibé, Sans titre (22 juin 1980), tirage argentique crénelé, 12,1 x 17,1 cm. Collection privée. © Malick Sidibé
Chiurai Kudzanai, The Minister of Finance, 2009, 150 x 100 cm. Courtesy Gervanne et Matthias Leridon. © Matthieu Lombard