L’ELEGANCE DU HERISSON

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Bientôt présenté au MACBA et à la Kullte Gallery de Rabat, Mustapha Akrim trace sa route au milieu du trafic de l’art contemporain. Picots dressés sur le dos, il n’en reste pas moins l’animal charmant d’une jeune scène artistique en réinvention permanente.

par Syham Weigant

Photo Baptiste de Ville d’Avray

 

Dans la famille des jeunes lauréats des beaux-arts de Tétouan formés par Faouzi Laatiris depuis les années 2000, il y a Mustapha Akrim, probablement l’un de ses membres les plus brillants. Ce spécimen singulier cultive une élégance nonchalante et une coupe de cheveux bien à lui, entre afro et cartoon (on ne peut s’empêcher de penser au personnage azimuté de Tahiti Bob dans la série « Les Simpson »). Cette génération d’artistes n’a aucun complexe et aucun compte à rendre : une liberté de créer totale, qu’ils maitrisent avec brio et utilisent pour faire entendre leurs revendications.

Pour le Musée d’art contemporain de Barcelone, le travail qu’il prépare depuis le début de l’été assume ce rôle entre engagement politique et volonté de dire des choses, dans un pays bien obligé de libérer une parole qui, sous asphyxie, risquerait d’exploser. Akrim fouille inlassablement une mémoire prolétaire souvent réécrite ou détournée par nos systèmes de dominance. Reproduisant à grande échelle des billets de banque marocains vintage, avec une maitrise du dessin académique qu’on ne lui connaissant pas, Mustapha Akrim poursuit sa définition du travailleur dans son pays.

 

 

Profession : artiste-ouvrier

Akrim est né en 1981 au cours de cette année noire de la baguette qui a vu éclaté les émeutes meurtrières du pain, comme Simohammed Fettaka et quelques autres… On aurait pu croire qu’en mourant Hassan II avait emporté tous ses stigmates. « Faux ! » crient finalement les œuvres de cette génération 00, qui a enfin le courage de solder les années de plomb. Ce que cette société a enfanté aurait pu être monstrueux, mais s’avère finalement positif, constructif et créatif. Bref, alternatif.

Avec aisance et un certain flegme, Akrim nous pousse à le suivre sur ses terres. Une vaste zone précaire aux abords de Salé, qui n’en finit pas de se paupériser en immense banlieue dortoir. De ce long cheminement depuis la périphérie de la périphérie jusqu’aux portes des palais Mustapha Akrim, désormais objet de spéculation dans les ventes aux enchères (sa pièce Article 25 a été vendue 12 500 dollars chez Christie’s Dubaï le 30 octobre dernier, ndlr), fait figure d’unique modèle. « Parmi toutes les personnes qui m’ont côtoyé durant ma jeunesse, il y a finalement aujourd’hui plus de dealers ou de repris de justice que de modèles positifs », nous dit-il en nous entraînant dans son double espace, entièrement édifié par l’artiste-maçon : un garage-atelier où se côtoient matériaux de construction et de maçonnerie lourde et un studio-laboratoire qui sert d’espace de vie.

Ici se superposent recherches théoriques, laboratoire d’idées et recherches bibliographiques. Une oasis de création spontanée a ainsi poussé comme du chiendent au milieu de la désolation. « Les gens aiment évoquer la puissance de l’œuvre de Choukri (l’auteur du Pain nu ndlr), mais c’est gonflé de faire comme si cette œuvre tombait du ciel, alors que lui vient vraiment de ce qu’il a vécu. En venant de cette merde qu’il raconte, on devrait se rendre compte à quel point c’est exceptionnel d’être devenu ce qu’il est devenu ! Dans ce contexte on peut basculer à tout moment, et la vie de l’artiste est presque plus importante que les œuvres qu’il produit… »

Dans leur ADN les travaux d’Akrim portent tous l’histoire de cette « mémoire ouvrière », dont il se sent acteur et héritier. C’est la question centrale de son travail. Elle interpelle au milieu d’une scène artistique parfois engorgée. Akrim tire son épingle du jeu en cultivant une distance mystérieuse et une simplicité de taiseux. Il est assis là, confortablement, au rez-de-chaussée de la maison familiale dont il a autant forgé l’autonomie que dessiné les plans. Comme son père – maçon illettré – a construit l’ensemble de la demeure, Akrim apprend très vite à le seconder, notamment pour subsister.

 

 

Tétouan, l’usine à rêve

La conversation s’arrête sur un moment fondateur : l’oral du concours des beaux-arts de Tétouan. Les petits formats qu’il montre sans conviction à un jury blasé n’impressionnent personne, mais le personnage intéresse le maître. Faouzi Laatiris le provoque en lui demandant s’il n’a pas « autre chose dans le ventre ». Akrim a un atout secret, gardé en réserve pour qui sait le demander. De son cartable, il sort une pièce étrange : un visage tout en souffrance et en matière dégouline de douleur sur le métal érodé d’une friteuse. Cette œuvre de jeunesse aux antipodes de sa production actuelle interpelle Laatiris, qui le teste alors : « A quoi ça te fait penser ? ». Akrim ne s’explique toujours pas cette réponse qui fuse : « A la fête du travail ! ». Il y repense souvent en essayant de rationnaliser : « peut-être que comme j’avais utilisé un ustensile de cuisine, qui est avant tout un outil de travail, j’ai fait cette association… » Probablement une preuve de son intelligence intuitive. Cette courte joute entre le maître et le disciple se conclut par une remarque sobre : « Il va falloir que tu te trouves un appartement à Tétouan ».

 

(…) Retrouvez la suite de cet article dans DIPTYK#21, actuellement en kiosque.

 

Mustapha Akrim,  IQRAA

Kulte gallery, Rabat

du 11 janvier au 1er mars 2014

 

« Before your eyes », exposition collective

Curateur : Abdellah Karroum, MACBA

du 24 janvier au 18 mai 2014