Les corps libres de Ghizlane Sahli

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Exposée de Paris à Dakar, en passant par Ouagadougou, l’artiste-plasticienne rehausse la broderie au rang d’art majeur et célèbre la libération du corps féminin.

C’est à l’occasion d’une résidence à la Cité des arts à Paris, fin 2021, que Ghizlane Sahli a l’intuition qu’il faut recentrer son travail sur son propre corps. Délaissant les alvéoles qu’elle constitue à partir de simples goulots de bouteilles en plastique sur lesquels elle a coutume de broder avec du fil de soie, elle décide de travailler à partir de photographies intimes et de papier.

Persuadée que « la libération passe d’abord par le corps des femmes », elle entame une première série intitulée 28 x 4, composée de quatre panneaux comportant chacun sept petits formats où elle brode à partir de motifs végétaux et, le plus souvent, sexuels. Il s’agit aussi « de parler des saisons, de l’existence d’une femme à partir de ses émotions ». Cette perception féminine est marquée par l’idée de cycle et de renouveau perpétuel qu’illustrent la prolifération circulaire de la végétation et la forme ovoïde de vulves, d’abord de couleur rouge puis noir et blanc.

Ghizlane Sahli, 28 x 4, 2021, Ouagadougou, fils noués sur papier Arches, 26 x 18 cm, Courtesy de l’artiste

Déterminée à développer ce projet aux quatre coins du monde, l’artiste le nomme dans un premier temps « Le périple », avec l’intuition qu’en parlant de son propre corps, elle évoque la condition féminine en général. Invitée en off de la Biennale internationale de la sculpture de Ouagadougou (BISO) par l’ONG Solidarité Laïque, elle part à la rencontre de tisseuses et de brodeuses avec lesquelles elle continue de « célébrer la femme et son corps ». Elle découvre alors la persistance de tabous liés aussi bien à la question des menstruations qu’au phénomène encore répandu de l’excision.

La richesse des échanges fait parfois émerger des motifs ou des matériaux inattendus, tels que des lames de rasoir ou de simples croix, à partir desquels les femmes sont invitées à broder, comme un acte de résistance qui ne dit pas son nom. « La broderie a toujours été, dans la plupart des cultures, le principal moyen d’expression des femmes, explique-t-elle. Mais elle a été constamment dénigrée. »

L’aventure se poursuit en off de la Biennale de Dakar, au cours de laquelle Ghizlane Sahli continue de broder à partir du papier, qui représente pour elle « un modèle très masculin, associé notamment à l’imprimerie ». Broder sur un matériau d’une telle fragilité devient alors moins un acte militant qu’une proclamation intime de la délicate et non moins nécessaire émancipation du corps des femmes. Prochaines étapes : le Tchad, le Bénin, la Côte d’Ivoire et la Congo Biennale à Kinshasa en octobre 2022.

Olivier Rachet

Visuel en Une : Ghizlane Sahli, 28 x 4, 2020, Cité internationale des Arts, Paris, broderie sur photo (photo © Elodie Grethen), 26 x 18 cm. Courtesy de l’artiste.
Ghizlane Sahli, 28 x 4, 2022, Dakar, broderie et lames de rasoirs sur papier arches, 26 x 18 cm. Courtesy de l’artiste
Ghizlane Sahli, 28 x 4, 2021, Marrakech, broderie sur papier Arches, 26 x 18 cm. Courtesy de l’artiste
Ghizlane Sahli, 28 x 4, 2020, Cité internationale des Arts, Paris, broderie et dessin sur papier arches, 26 x 18 cm. Courtesy de l’artiste
Ghizlane Sahli, 28 x 4, 2020, Cité internationale des Arts, Paris, broderie sur photo (photo © Elodie Grethen), 26 x 18 cm. Courtesy de l’artiste