[Marché de l’art] Les collectionneurs y croient encore

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Réputé plutôt résistant aux crises économiques et politiques, le secteur des galeries a été durement impacté par la pandémie de Covid-19, selon le dernier rapport d’Art Basel et UBS. Contre toute attente, les collectionneurs se disent pourtant encore prêts à acheter.

Lors du premier semestre 2020, les ventes des galeries se sont effondrées de 36 % en moyenne par rapport à 2019, révèle le rapport d’Art Basel et UBS sur l’impact de la pandémie sur le marché de l’art, fondé sur une enquête auprès de 795 galeries de 60 pays. Pas moins de 83 % des galeries interrogées ont rapporté avoir subi des pertes – les petites structures ayant été le plus durement frappées.

Port du masque dans les Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique. ©Pierre-Yves Thienpont

Un secteur dépendant des contacts physiques

Si les galeries ont subi de plein fouet les effets de la pandémie, c’est parce que leur activité dépend beaucoup des voyages et des contacts physiques. Or près de 93 % des galeries ont dû fermer leurs portes en 2020 (pour 10 semaines en moyenne) et annuler de nombreuses expositions (le nombre moyen d’expos prévues en 2020 est passé de 7 à 4). La quasi-totalité des foires ayant aussi été annulées, la part des ventes d’œuvres par ce biais est passée à 16 % pour le premier semestre 2020, contre 46 % pour la même période de 2019.

Comme les frais liés aux foires constituaient souvent le premier poste budgétaire des galeries (29 % du budget moyen 2019), elles ont au moins pu réaliser des économies, qui parfois compensaient les pertes. Mais dans l’ensemble – et malgré les aides exceptionnelles des États, très variables selon les pays –, un tiers des galeries ont dû réduire leur équipe pour supporter les effets de la pandémie. Ces galeries ont perdu en moyenne 4 employés, dont 2 à plein temps.

Le MoMa, fermé, le 17 mars 2020. AFP / Johannes EISELE

La révolution numérique forcée du marché de l’art

La pandémie pourrait bien être le facteur qui forcera le marché de l’art à faire sa révolution numérique, estime l’auteure du rapport, l’économiste Clare McAndrew. Même si les ventes sur Internet augmentaient régulièrement depuis 2013, le marché de l’art était à la traîne par rapport aux autres e-commerces. Dans l’ensemble, le marché résistait fortement à cette tendance, surtout pour les hauts niveaux de prix.

Avec les barrières imposées par l’épidémie, les ventes en ligne ont explosé. De façon générale, on a vu apparaître une plus grande diversité de stratégies numériques dans le marché de l’art. Beaucoup de foires annulées ont mis en place des salles d’exposition virtuelles et diverses plateformes innovantes de ventes aux enchères sont apparues. Même tendance chez les galeries : 65 % ont davantage vendu en ligne cette année. Alors qu’en 2019 Internet ne représentait que 10 % des ventes, cette part a bondi à 37 % lors du premier semestre 2020 (29 % via leur propre site, 8 % via d’autres plateformes). Seul un quart des galeries a résisté, ne faisant aucune vente en ligne (mais elles étaient 31 % en 2019).

Vue - Foire 1:54 à Marrakech en février 2020.

Les collectionneurs stimulés par le confinement

Cette tendance a toutes les chances d’être durable, estiment les galeries, qui notent que 26 % de leurs acheteurs en ligne étaient de nouveaux clients. Si la majorité s’attend à ce que les ventes globales continuent à diminuer au second semestre 2020, 66 % prévoient par ailleurs que les ventes en ligne augmenteront encore, y compris en 2021.

Pour mieux comprendre l’évolution du comportement des acheteurs, le rapport UBS a aussi interrogé 360 collectionneurs millionnaires des États-Unis, du Royaume-Uni et de Hong Kong. Certes, ils disent préférer le contact physique avec les œuvres, 41 % d’entre eux ayant encore acheté lors d’une visite à une galerie en 2020. Mais ils étaient aussi 85 % à visiter les expositions virtuelles de galeries ou de foires (la moitié y concluant une transaction). Ils ont particulièrement apprécié (à 82 %) que les prix y soient indiqués – une évolution notable, vu la résistance des galeries face à cette pratique.

Dans l’ensemble, la pandémie ne semble pas avoir freiné leur passion d’acquisition, au contraire. Non seulement 92 % d’entre eux avaient acheté au moins une œuvre en 2020, mais le nombre moyen d’œuvres acquises au premier semestre était de 4, contre 6 pour l’année entière 2019 ! De fait, 59 % d’entre eux estiment que la pandémie a aiguisé leur intérêt de collectionneur. Quand les millionnaires sont confinés, ils passent le temps en achetant des tableaux ?

Zoé Deback

Photo de couverture : Bobby Yip / REUTERS