NFT : Que des avantages, vraiment ?

Robert Alice x Alethea AI, To the Young Artists of Cyberspace, 2021, jeton non fongible interactif (iNFT). © Sotheby’s Vendu 478 800 $

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Passé l’enthousiasme de voir naître ce nouveau marché, demeure la question des réels changements apportés. Les NFT sont-ils réellement en train de révolutionner les arts ou bénéficient-ils seulement à certaines catégories de personnes ?

On prête au marché virtuel de nombreuses vertus. Il permettrait aux artistes d’exercer un meilleur contrôle sur leurs oeuvres, de les vendre plus facilement et de se protéger du plagiat. Du point de vue de ses promoteurs, il présenterait une différence majeure avec le marché de l’art classique, celle d’être uniquement réglé par les lois de l’offre et de la demande, sans intermédiaires, sans gatekeepers, sans instances de validation et sans manipulation des prix. Ces problèmes se posent toujours, mais différemment. De faux NFT circulent. Il suffit de changer un pixel d’une oeuvre existante pour contourner les outils de détection de certaines plateformes, et proposer un duplicata à la vente. Idem pour les manipulations du marché, à travers le wash trading : un propriétaire ou un créateur peut échanger un NFT entre deux portefeuilles différents sur l’infrastructure blockchain publique. La blockchain garantissant une transparence des transactions mais un anonymat des détenteurs des portefeuilles, la demande peut ainsi être artificiellement gonflée dans le but d’attirer de futurs acheteurs. Enfin, l’absence d’instances curatoriales donne lieu à des créations de qualité contestable, dont la valeur est mue par la seule rareté, ou adossée à des logiques de reconnaissance fondées sur la réputation et la célébrité.

Jenny Holzer, Present, 2021, vidéo digitale avec jetons non fongibles (NFT), 1 min 12 (2 160 x 2 160 pixels). © Christie’s

Au fond, les NFT n’ont pas changé grand-chose dans les modalités de validation de l’art par les collectionneurs. Ils ont permis l’émergence d’une sphère parallèle portée par des acteurs différents, et réglée par des formes d’excellence et des valeurs esthétiques différentes – une nouvelle « élite culturelle » émergente, qui a ses goûts et ses préférences. Les acteurs de cette sphère s’inscrivent autant que ceux du marché traditionnel dans des enjeux de spéculation et d’accumulation.

Dans le marché des NFT comme dans le marché traditionnel, une fraction d’acteurs domine économiquement l’espace, et par là se retrouve habilitée à définir le légitime et le désirable. Cette reconfiguration des instances de diffusion et de légitimation a eu pour conséquence de créer de nouvelles formes de reconnaissance des artistes, un nouveau regard sur ce qui fait la « validité » d’un art, ainsi que de nouveaux jugements portant sur la création artistique.

Comme toute demande ne peut rester sans offre, on assiste ainsi à l’émergence d’une nouvelle « filière » d’artistes adossés à ce marché et insérés dans différents rapports vis-à-vis des collectionneurs. Le marché reste également travaillé par de profondes disparités de genre. Selon une étude menée par le cabinet d’études ArtTactic, 77 % des ventes primaires et secondaires réalisées au cours des 21 derniers mois ont profité à des créateurs masculins, contre 5 % pour les femmes. Les 18 % restants se répartissant entre créateurs au genre non divulgué et collectifs d’artistes.

Reida Zaireg