[Portfolio] Karim Chater, leçon de style beldi

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Au fond, qu’est-ce que c’est, le style beldi ? Gage d’authenticité dans la bouche des uns ou de ringardise dans la bouche des autres, le beldi est un peu tout ça à la fois. Karim Chater nous livre sa définition dans des mises en scène peuplées de R12, de façades décrépites, de fripes vintage et autres toiles cirées fleuries.

Il ne se revendique ni artiste, ni vraiment modèle ou styliste. Karim Chater fait partie de cette génération d’autodidactes qui a besoin d’explorer pour exister et qui refuse les étiquettes. Pourtant, à tout juste 25 ans, le jeune homme a déjà construit un véritable univers visuel, connu sur Instagram sous le nom de « Style Beldi ». Karim Chater ne fait pas référence au style ancien ou traditionnel, mais à l’essence même de la marocanité, au-delà des clichés : « La coupe afro ou encore le style de mon père dans les années 1970 sont eux aussi beldi », explique-t-il. Par beldi, comprendre authentique et forgeur d’une identité culturelle forte. Sa façon de se mettre en scène devant la caméra, Chater l’a héritée de son père, qui lui-même prenait la pose comme un dandy à l’époque des appareils photos jetables. Le jeune créatif puise aujourd’hui dans une nostalgie de l’enfance, des souvenirs qu’il n’a pas connus, pour constituer une forme d’imagerie fantasmée du Maroc. Fantasmée mais très ancrée dans la réalité.

Issu du quartier populaire casablancais de Sidi Moumen, il marche dans les pas de Hassan Hajjaj ou de Joseph Ouechen, lui aussi issu du même bidonville et autopropulsé dans le monde de la mode. « Il y a beaucoup d’énergies positives dans les quartiers populaires », défend Chater. De façon presque inconsciente, il se retrouve à réhabiliter l’image des zones ghettoïsées de Casablanca. Il y aussi une forme de réappropriation des codes de la culture populaire, récemment annexés par la mode ou la production audiovisuelle. Si certains magazines ou groupes de musique européens vont s’encanailler dans les quartiers mal famés pour simuler l’illusion d’un frisson, Style Beldi parle de ce qu’il connaît. C’est viscéral, sincère malgré la performance, presque naïf dans sa bienveillance. Karim Chater estime que « c’est à nous de défendre notre image et de prendre de la place ». Et d’ajouter : « J’aime quand des étrangers montrent une belle image du pays, mais je me dis toujours qu’on devrait aussi réussir à le faire. »

Un « sapeur » marocain

Derrière le style se cache donc une réalité dont il documente les aspérités et qu’il cherche à transcender. Grâce à sa présence sur les réseaux sociaux, il symbolise une sorte de Moroccan dream incarné par cette génération résiliente qui contribue à la fabrication d’une iconographie nouvelle. Yoriyas, Mohcine Harrisse, Zineb Koutten sont autant d’artistes et de créatifs avec qui il collabore régulièrement, mais de manière totalement spontanée, presque désorganisée. Comme Prince Gyasi qui vient hacker le monde de l’art contemporain muni de son iPhone ancienne génération, Karim Chater représente cette génération ingénieuse qui casse les codes pour atteindre ses objectifs, loin d’une quelconque forme de déterminisme. Convaincu de la nécessité d’avancer ensemble, et de la même manière que Hassan Hajjaj a pu encourager des jeunes par le passé, Chater utilise aujourd’hui sa plateforme pour mettre en avant certains talents ou partager des conseils très accessibles. Car derrière la pose et la mise en scène de ses compositions travaillées, le jeune homme sait rester humble et conscient de l’illusion que peut représenter Instagram.

Personnage complexe, attendrissant et pétri de contradictions, Style Beldi est à l’image de Casablanca, un océan de possibilités, mais où tout reste fragile. Dans un contexte où l’économie de la mode reste balbutiante, il est légitime de se demander quel horizon attend ces jeunes créatifs et créateurs. Chater, lui, le voit en Afrique. Impossible d’ailleurs d’apprécier son travail sans penser à l’extravagance des sapeurs, à l’effervescence des townships, ou à l’esprit suranné des photos studio. Son objectif ultime ? Positionner le Maroc comme une référence stylistique pour le continent.

Chama Tahiri