[Portfolio] Maïmouna Guerresi  : Sabâatou Rijal, sept saints à qui se vouer

Courtesy : Maïmouna Guerresi, MACAAL & Galerie Mariane Ibrahim

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Empreint de mysticisme, l’œuvre de Maïmouna Guerresi questionne de façon suave et poétique l’identité conçue comme une évolution du corps spirituel et non comme des particularités physiques. En résidence au MACAAL pendant le confinement, elle s’est inspirée de la tradition des Sept Saints de Marrakech. Janine Gaëlle Dieudji, directrice des expositions au MACAAL, a été le témoin privilégié de ce travail qu’elle nous explique ici.

En mars dernier, Maïmouna Guerresi débarquait à Marrakech, la fleur au fusil, pour une résidence de recherche et production au Musée d’Art Contemporain Africain Al Maaden. Cinquième artiste en résidence depuis l’ouverture du programme MACAAL Residence en 2018,  elle a atterri le 2 mars au soir pour un séjour d’un mois qui s’est révélé plus long et solitaire que prévu, car de voler les avions se sont soudainement arrêtés.

Ayant aussi bien recours à la photographie, à la vidéo qu’à la sculpture et à l’installation, l’artiste italo-sénégalaise aborde dans son œuvre le symbolisme culturel. Convertie à l’islam en 1991, au soufisme en particulier, elle s’est inspirée de la tradition des Sept Saints de Marrakech, Sabâatou Rijal, pour penser son projet de résidence au MACAAL. « Par ces temps de grande incertitude et de futur fragile qui donnent matière à réfléchir, j’ai souhaité représenter de façon symbolique la célébration du sens de la communauté », commente Maïmouna, qui souligne : « J’ai voulu innover, tout en restant fidèle à mon propos. Sabâatou Rijal s’inscrit dans la continuité de mes travaux précédents autour des notions de tradition, de spiritualité et d’identité ».

Courtesy : Maïmouna Guerresi, MACAAL & Galerie Mariane Ibrahim

La tradition des Sept Saints de Marrakech est née il y a environ 300 ans d’une décision du sultan Moulay Ismaïl qui voulait contrer l’influence grandissante des Sept Saints Regraga autour d’Essaouira. La mission fut ainsi confiée à El Hassan El Youssi qui, sur les trois cents noms de Saints Hommes calligraphiés dans la Medersa Ben Youssef, en choisit sept devenus célèbres sous le nom de Sabâatou Rijal. Grands savants en théologie islamique ou grands maîtres soufis, Sidi Youssef Ben Ali, Cadi Ayyad Ben Moussa, Sidi Bel Abbes, Sidi Abdellah El Ghazouani, Abderrahmane Souheili, Sidi Ben Slimane et Sidi Abdelaziz Tebbaâ sont alors devenus des piliers de l’histoire et de la culture de la ville de Marrakech. En 2005, sept tours ont été érigées à Bab Doukkala en hommage à ces illustres hommes qui symbolisent l’unité spirituelle de la ville de Marrakech.

Courtesy : Maïmouna Guerresi, MACAAL & Galerie Mariane Ibrahim

Dans la lignée des personnages de sa série Giants, Maïmouna a conçu la composition de ses œuvres de façon stratégique. On retrouve notamment des références à l’architecture de Marrakech dans les costumes fabriqués sur mesure, notamment les couleurs ocre et bleue typiques de la ville. «Envisagé comme un travail de sculpture au départ, le projet s’est rapidement transformé sur place en installation photographique composée de sept personnages couronnés de plantes, symboles du monde botanique qui, de par sa forme et sa substance, offre à notre compréhension personnelle de nombreuses leçons, tant sur l’être humain que sur l’univers», décrypte Maïmouna.

En les photographiant quasi tous de dos, elle  a voulu « intensifier la posture d’introspection recherchée et déconstruire l’image stéréotypée de l’orientalisme fantasmé de l’islam qui a alimenté le racisme moderne. Ici, la grandeur est plurielle, multiculturelle et non genrée. L’élévation spirituelle est renforcée par l’absence du corps et par le rejet de l’individualisme qui gangrène nos sociétés ». C’est en faisant elle-même la ziara (le pèlerinage) dédiée aux Sept Saints, ainsi que la visite des monuments qui leur sont consacrés, que Maïmouna a décidé de les représenter à travers le corps et l’esprit d’individus lambda, « avec la conviction qu’au-delà des genres, du statut social ou du niveau de popularité, se trouve à l’intérieur de tout un chacun un mythe, une histoire forte, sincère et inspirante ».

Courtesy : Maïmouna Guerresi, MACAAL & Galerie Mariane Ibrahim

Aujourd’hui de retour chez elle en Italie, l’artiste dit vouloir poursuivre cette recherche, « peut-être à travers la sculpture, un médium qui demande de temps et de la patience… ». En attendant, elle avance sur d’autres projets, notamment une monographie à l’occasion de Kyotographie 2020, reporté à 2021. Elle prépare aussi l’exposition de la série Villes Nouvelles, Ancient Shadows, qui est née de façon impromptue pendant le confinement : voyant son séjour prolongé, Maïmouna s’est occupée en photographiant les bâtiments en construction du site sur lequel elle avait réalisé  Sabâatou Rijal. Ce travail sera montré pendant le festival italien Castelnuovo Fotografia, en septembre prochain.

Janine Gaëlle Dieudji

Courtesy : Maïmouna Guerresi, MACAAL & Galerie Mariane Ibrahim
Courtesy : Maïmouna Guerresi, MACAAL & Galerie Mariane Ibrahim
Courtesy : Maïmouna Guerresi, MACAAL & Galerie Mariane Ibrahim