[Portrait] Voir germer le monde avec Younès Rahmoun

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Personnage discret et mystérieux, Younès Rahmoun crée des univers épurés empreints de philosophie soufie et de spiritualité zen. Aujourd’hui, il est exposé au Centre Pompidou au sein de l’exposition « Global(e) Résistance ». Jusqu’au 4 janvier.

Place El Feddane, Tétouan. Younès Rahmoun se baisse discrètement et glisse dans sa poche une petite bille en aluminium trouvée sur le sol. Ce geste insolite est pour l’artiste tétouanais un véritable rituel qu’il répète inlassablement depuis l’enfance. Clous, morceaux de bois, bouchons et autres débris de fer capturés à l’aide d’un aimant, tout ce que le garçonnet trouvait dans les rues de son quartier de Jbel Dersa, était patiemment collecté pour « créer des petits mondes ». Des univers minuscules, qu’il confinait et faisait incessamment varier dans une boîte en métal rouillé. Cette boîte, « je l’utilisais comme un espace d’exposition en miniature. J’adorais y organiser les éléments et les volumes ». L’enfant ne le sait pas encore, mais déjà il crée ce qu’on appelle dans l’art contemporain des installations.

© Younes Rahmoun, Zahra-Zoujaj, 2010

Aujourd’hui ses installations ont gagné en épure. Elles ont pris une toute autre dimension – certaines vont jusqu’à englober le spectateur – et font sa renommée en Europe et au Moyen-Orient. Un succès international qui ferait tourner la tête à plus d’un. Pas à Younès Rahmoun. Le plasticien au calme imperturbable et à la voix d’une douceur infinie n’a jamais cédé aux sirènes de l’expatriation.

Pourtant, enfant, il s’était projeté en grand voyageur, comme Ibn Battûta mais le voyage sera finalement pour lui spirituel. Un voyage nourri par l’Islam, que ce soit dans ses installations toutes tournées vers la Qibla ou dans les chiffres qui scandent son œuvre – les 77 branches de la foi islamique ou les 99 noms d’Allah. Mais pas seulement. Zen et sagesse asiatique y viennent aussi ouvrir les portes de la conscience de soi. « À travers mes œuvres, j’essaye que chacun ait un petit moment d’intimité avec soi, un petit moment de méditation qui peut durer quelques secondes. Cela peut suffire », déclarait-il il y a quelques années.

© Younes Rahmoun, Habba, 2011

La Médina comme école

Quand le jeune Rahmoun s’est-il destiné à l’art ? Personne n’est artiste à la maison, mais il y a une sensibilité certaine : « Ma mère a toujours aimé l’originalité de mes idées. Mon père, plus sensible à la peinture académique, m’incitait à faire des portraits ou des paysages ». Mais l’enfant a plutôt goût pour l’abstraction et les formes géométriques. Ses premières esquisses sont influencées par les zelliges qui tapissent les murs de son école, le travail des artisans observé au cours de ses déambulations ou les architectures enchevêtrées de la médina.

Il a trouvé sa voie. Younès Rahmoun intègre l’Institut National des Beaux-Arts de Tétouan, qui dans les années 1990 opère sa mue. C’est l’époque des professeurs novateurs et du rejet de l’académisme dont l’école restait tributaire depuis le protectorat espagnol. Sous l’impulsion de maîtres comme Abdelkrim Ouazzani, Faouzi Laatiris ou Hassan Echaïr, Rahmoun affine son tempo – la répétition de motifs géométriques – et son vocabulaire plastique. C’est alors aussi qu’il découvre les écrits du maître Taisen Deshimaru, qui enseigne que « le secret du Zen consiste à s’asseoir, simplement, sans but ni esprit de profit, dans une posture de grande concentration ». Peu après, apparaîtra la ghorfa, ce lieu central de l’œuvre de Rahmoun où, pendant 7 ans, il y méditera et travaillera.

Younès Rahmoun, Ghorfa #1, 2005

La « Ghorfa », l’atelier de méditation

C’est à la fin de ses études que sa mère lui cède le petit espace resté vacant sous l’escalier de la maison familiale. L’artiste en fait son atelier. Pour la première fois, Rahmoun a un lieu à lui dans cette maison longtemps partagée entre les 8 membres de la famille : « La Ghorfa, c’était mon espace de liberté ». Accroupi, avec en face de lui « ce mur blanc comme un espace de projection », il pose les fondements de son travail. La lumière. La fleur, symbole de germination et de développement spirituel. L’atome et l’infiniment grand. Le vert, cette couleur du milieu, « ni chaude ni froide ». Sans oublier sa Ghorfa qu’il reproduira à échelle 1:1 à travers le monde, avec le désir de partager son cheminement méditatif. « Cette spiritualité, c’est ce qui fait toute l’originalité du travail de Younès Rahmoun, résume Bérénice Saliou, directrice artistique de l’Institut des Cultures d’Islam à Paris. Pour lui, être pratiquant, musulman et artiste ne fait qu’une seule et même chose. Tout cela est imbriqué en toute sérénité ».

Emmanuelle Outtier