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Nul ne l’ignore, le regard que portèrent les Avant-gardes dans les premières années du XXe siècle sur l’Art classique africain contribua à infléchir radicalement l’esthétique occidentale. Les innombrables dessins que Picasso réalisa des masques acquis par Vlaminck et Matisse ou qu’il vit au Musée d’ethnographie du Trocadéro en 1907 sont devenus de véritables archétypes de ce bouleversement des codes de la représentation. Liquide amniotique dans lequel Les Demoiselles d’Avignon voient – très progressivement – le jour, cette production est intégrée à la trame historique élargie que le Musée d’Orsay a mis en scène cette année avec l’exposition « Modèle noir : de Géricault à Matisse ».

Depuis ce saisissement d’une Modernité passée à la postérité, un siècle s’est écoulé. Entre temps, malgré certains malencontreux réflexes – vestiges d’une histoire pour le moins complexe entre l’Afrique et l’Occident – le paysage des Arts en Afrique s’est métamorphosé. La production ne se résume plus aux pièces classiques qu’un regard occidental féru d’exotisme figeait dans une atemporalité esthétisante.

Si l’émergence d’un Art contemporain en Afrique a du nécessairement s’accompagner d’un changement de regard, son essor sur le marché des enchères notamment impose une redéfinition, sinon une réécriture complète de l’Histoire de l’art ainsi qu’une révision profonde du rôle que peut endosser le marché.

Léonce Raphael Agbodjelou (né en 1965, Bénin), Untitled (Egungun series), 2012 C-print Edition de 3 exemplaires + 2 EA 150 × 100 cm — Estimation : 3 000 / 5 000 €

À REBOURS DES CLICHÉS

Parfois nourrie par l’héritage culturel de l’Europe – à l’instar des tableaux de Marc Padeu inspirés de Sandro Botticelli – la création contemporaine africaine réinvestit également, en le détournant, son propre passé. Les photographies du béninois Léonce Raphael Agbodjelou constituent des exemples des plus réussis. Coutumier de la navigation entre la tradition et le présent, les personnages d’Agbodjelou en habit rituel semblent poser sous éclairage studio.

Mais à rebours de sujets issus des rites qui ont longtemps entretenus les grands mythes visuels du continent, les artistes contemporains se réapproprient leurs identités en développant des thèmes qui sont ceux d’une modernité africaine que l’on retrouve dans les œuvres de Billie Zangewa. Comme Manet réinventait le nu en peignant une Olympia aux formes éloignées des canons classiques, l’artiste originaire du Malawi réinvente le corps noir à l’opposé des représentations orientalistes fantasmées de l’Afrique.

Que ce soient les tableaux de Chéri Samba dénonçant le fléau des enfants soldats dans Le Petit Kadogo (2013) ou ceux du peintre ivoirien Aboudia, fortement marqué par les émeutes qui éclatèrent à Abidjan en 2010, les soubresauts d’un contexte politique et social chaotique constituent une des sources d’inspiration les plus importante.

De plus, les grands enjeux que l’Occident découvre en ce début de XXIe siècle (la protection de l’environnement, l’immigration et la construction d’une identité plurielle…) sont également abordés par ces artistes africains au moyen d’une narration figurative hyper expressive. En recouvrant d’un réseau de circuits imprimés la peau noire de ses sujets, l’artiste congolais Eddy Kamuanga Ilunga, met l’accent sur l’hypocrisie d’un Occident toujours plus enclin à laisser sortir les richesses de la terre que les populations qui vivent dessus.

L’expérience de l’altérité que proposent les artistes contemporains africain à ceux qui les collectionnent est à double sens. A l’image de l’Autre apparaissant dans un environnement qui reste – et restera – radicalement différent, s’ajoute celle des sociétés occidentales perçues par le prisme, parfois ironique souvent caustique, des artistes africains.

 

PIASA, ACTEUR PRESCRIPTEUR

Avec plus de réactivité que les artistes ou les galeries, la maison de vente, notamment grâce aux outils du e-commerce qu’elle est en mesure de mettre en place, semble être le seul acteur du marché pouvant atteindre les collectionneurs occidentaux. 

En ce qui concerne l’Art contemporain africain, la maison PIASA a toujours été plus sensible à la puissance expressive des œuvres qu’elle présente qu’à l’évolution des prix. Mettre la priorité sur une intuition esthétique permet de pouvoir instaurer un dialogue, libre et serein, avec une clientèle qui vient chez PIASA pour être conseillée. Année après année, les catalogues que nous éditons constituent des balises pour se retrouver dans une créativité foisonnante. 

Parmi les différents acteurs privés qui accompagnent avec bienveillance cet essor, la maison de vente aux enchères PIASA est parvenue à devenir un prescripteur auprès de collectionneurs de plus en plus nombreux. Avec deux ventes par an, son département d’Art contemporain africain met en lumière cette scène artistique dont les frontières réelles, positivement poreuse, dépassent très largement celle de la simple géographie. 

Par Christophe PERSON, directeur du département d’art contemporain africain chez PIASA

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