Acteur de la Beat Generation, Brion Gysin est l’inventeur du cut-up et de la Dream Machine. Le Colloque à Tanger qui a eu lieu début avril lui rendait hommage. Entretien avec Bernard Collet, commissaire de l’exposition.
Brion Gysin à Tanger : sommes-nous dans une énième évocation de l’univers tangérois du tandem Bowles/Burroughs ?
Certes, Brion Gysin est un artiste lié à la Beat Generation, à cet univers tangérois autour de Bowles et Burroughs, mais c’est avant tout un artiste inclassable et visionnaire que l’on redécouvre plus de 25 ans après sa mort. Il a passé plus de 10 ans à Tanger dans les années 50 et il a découvert ici, en particulier grâce à la calligraphie arabe et la musique traditionnelle marocaine, les éléments d’une modernité que l’on ne peut passer sous silence. Ce mythe de la Beat Generation à Tanger est usé, j’en conviens, avec sa nostalgie un peu poisseuse sur une époque dont on aimerait penser qu’elle fut meilleure que la nôtre, où on aurait vécu plus libre, insouciant, ce qui est faux évidemment. Ce qui est intéressant, c’est l’aspect visionnaire d’une démarche: comment un artiste parvient à être en adéquation avec son temps et toujours un peu en avance sur lui; éprouver ce qui, 50 ans plus tard, parlera encore à d’autres artistes. Ceux de la Beat Generation secouaient le monde, son conservatisme sclérosant et sa tristesse dogmatique, ils l’oxygénaient, lui rendaient son énergie. On pouvait être joyeux, neufs, libres, innovants. C’est cela qu’il faut retenir d’eux.
Qui est Brion Gysin et quelles sont ses grandes découvertes artistiques ?
Brion Gysin a travaillé simultanément la peinture, le dessin, le collage, le son, la poésie, la littérature, la performance, l’art cinétique, la photographie. C’est cette interdisciplinarité qui fait œuvre. Il a inventé une façon de transformer le monde en le fragmentant, en le déconstruisant. Cut-up en poésie et littérature, découpage de l’image et simplification des signes en peinture, travail de sample en musique. Une même façon de rendre compte de la perception par des techniques novatrices comme sa Dream Machine des années 60, cylindre tournant émettant des lumières par ses perforations et qui convoquait des images stroboscopiques vues les yeux fermés !
La calligraphie est un art qui réactive régulièrement les recherches plastiques des artistes contemporains : que nous apprend le parcours de Gysin dans ce domaine ?
Brion Gysin a découvert qu’une image pouvait être matérialisée par des signes, qu’il n’y avait aucune différence entre la représentation d’une foule sur la place Jamaa El Fna et un ensemble calligraphique, que la calligraphie “faisait image”. Il découvrait par la peinture ce que l’ informatique parvient à créer, une image à partir de l’impulsion d’un signe. Ce n’est pas rien ! Ses grilles calligraphiques, cette mécanographie peinte annonce la conception informatique de l’image dans notre époque contemporaine. Il a aussi travaillé sur le croisement entre l’écriture arabe (de droite à gauche) et l’écriture japonaise (de haut en bas), la reproduction au roller à l’encre de carrés et de bandes dans lesquels des signes apparaissent. Oui, la calligraphie peut réactiver les recherches actuelles en art dans la mesure où elle s’inscrit, comme l’a bien montré Gysin, dans ce passage visuel et sémantique entre signe et image. Et, sur ce plan, l’influence de Gysin est considérable dans la production artistique contemporaine.
Propose recueillis par Meryem Sebti
Brion Gysin
Galerie Delacroix
Tanger
Jusqu’au 4 mai 2013