Droits des femmes, religion, dépendance au pétrole… Les artistes saoudiens sont-ils en train de briser les tabous du royaume ?
A Jeddah, l’exposition "We need to talk" témoignait du changement.
C’est bien connu : si l’art coûte cher, c’est aussi (et surtout) parce qu’il rapporte. En la matière, les pays du Golfe font figure de champions avec, en tête dans la catégorie poids-lourds, le Qatar, premier acheteur d’art au monde, producteur d’expositions spectaculaires (aujourd’hui Takashi Murakami et Louise Bourgeois) et terre d’accueil des plus grands musées de la région (Mathaf, Musée national). Comparé à l’émirat, l’Arabie Saoudite fait pâle figure.
Moins bling bling et plus discret, le voisin ne possède que sept galeries et un seul musée digne de ce nom, le National Museum à Riyad, entièrement dédié à l’histoire. Et pourtant : s’il fallait trouver de la fraîcheur dans l’art contemporain, c’est vers le désert saoudien et non la baie de Doha qu’il faudrait se tourner. C’est un des – nombreux – paradoxes de l’Arabie Saoudite. Régulièrement taxée d’immobilisme, considérée comme l’un des pays les plus rigoristes au monde, la patrie du wahhabisme peut néanmoins se targuer de compter en son sein les meilleurs artistes de la région.
Pour s’en apercevoir, il suffisait en ce début d’année de se rendre à Jeddah, principale ville de l’ouest, où une exposition, « We need to talk », présentait jusqu’au 18 février l’essentiel de la scène contemporaine du pays. En soi, l’événement est historique. C’est la première fois qu’une exposition de cette ampleur – elle réunit 22 artistes sur plus de 1 000 m2 – a lieu sur le sol saoudien. Annoncée depuis plusieurs mois, ayant reçu l’aval des autorités, on aurait pu craindre – et on craignait ! – qu’elle ne soit une énième opération de lobbying en faveur du pouvoir. Il n’en a rien été.
Non seulement la quarantaine d’œuvres présentées a abordé des thèmes ultra-sensibles – religion, politique, place des femmes -, mais la manifestation, qui mêlait vidéos, photographies et installations, a été un formidable pied de nez au conservatisme ambiant (où « exposition » rime le plus souvent avec « célébration » – comprendre : celle du royaume et de l’islam). A Jeddah, on a ainsi pu entendre Ahmed Mater annoncer fièrement à un parterre de journalistes : « Les artistes saoudiens ont envie de parler, le monde devrait les écouter ». Agé de 32 ans, ce médecin, qui officie dans une clinique au sud du pays, est considéré comme l’un des artistes les plus prometteurs du royaume. Son œuvre, Evolution of man, a fait forte impression. Cette série de cinq photographies aux rayons-X montre une pompe à essence qui se change en homme, un pistolet rivé sur la tempe. Le procédé est astucieux, le discours un tantinet sommaire, mais pointer la dépendance à l’or noir dans l’un des premiers pays producteurs de pétrole relève déjà de la mutinerie.
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