Trois mois avant l’évènement, le directeur de la foire parisienne explique comment il veut promouvoir une Afrique plurielle, qui s’expose d’égale à égal avec l’Occident, loin des clichés.
Vous avez choisi d’inviter le continent africain avec un positionnement fort, encore jamais réalisé par une foire d’art contemporain en France. Considérez-vous qu’il est temps de placer l’art africain au même niveau que l’art international ?
Faire un focus sur l’Afrique, c’est prendre en compte sa diversité et son ampleur. Et nous avons pour cela une vision très ouverte de l’Afrique qui va au-delà du continent : certaines galeries viennent d’Afrique tandis que d’autres opèrent depuis les diasporas. C’est la raison pour laquelle nous avons décidé, avec la commissaire invitée Marie-Ann Yemsi, de ne pas regrouper les galeries africaines en un « camp » ou « ghetto », mais de les disséminer dans la foire afin qu’elles dialoguent à part égale avec les enseignes occidentales. Nous vivons aujourd’hui dans un « monde en relation », selon la formule d’Édouard Glissant.
Justement, pensez-vous que le marché africain est en train de dépasser ce phénomène qui le cantonnait jusque-là à une « curiosité de marché » ?
Il est certain qu’il y a un phénomène avec l’Afrique, quelque chose de l’ordre de « Africa is on the rise ». À titre d’exemple, de grandes galeries internationales font le pari de l’Afrique comme Daniel Templon qui montrera le peintre sénégalais Omar Ba sur Art Paris en 2017, ou encore Nathalie Obadia qui gère maintenant le patrimoine photographique de Seydou Keita. L’Afrique ne fait plus partie d’une chapelle mais commence maintenant à intégrer le circuit de l’art international.
Est-ce ce « twist du marché » qui vous a poussé à vous intéresser à l’Afrique pour l’édition 2017 d’Art Paris ?
Au printemps prochain, on assistera à une conjoncture absolument exceptionnelle où l’art africain contemporain sera mis à l’honneur dans plusieurs grandes institutions parisiennes comme la Fondation Louis Vuitton, La Villette ou encore l’Institut du monde arabe. Je suis ravi d’assister à cette saison africaine, inédite à Paris, qui va donner une vision actuelle de l’effervescence artistique que connaît ce continent. Cependant ma démarche n’est pas opportuniste car je m’intéresse à ce sujet depuis longtemps. Avec l’équipe d’Art Paris, cela fait maintenant un an et demi que nous préparons ce focus. Par ailleurs, j’avais déjà invité l’Afrique à Paris Photo en 2011, après avoir été l’un des premiers à mettre en avant la photographie nord-africaine lors de Paris Photo 2009. J’apprécie aujourd’hui de revenir sur le sujet, six ans plus tard et dans une foire d’art moderne et contemporain, avec la commissaire invitée Marie-Ann Yemsi. L’exposition « Odyssées africaines » qu’elle avait organisée en 2015 à Bruxelles m’avait subjugué. Nous souhaitons surtout montrer les scènes africaines dans leur pluralité avec une diversité de médiums, qui ne se réduisent pas à l’objet recyclé.
Comment comptez-vous montrer cette diversité de l’art contemporain africain à travers les galeries et artistes invités ?
En France, l’Afrique est souvent considérée uniquement à travers le prisme de l’Afrique francophone de l’Ouest. L’intérêt de notre projet est de marier différentes Afriques : francophone, anglophone et lusophone. La commissaire Marie-Ann Yemsi a travaillé en ce sens. Parmi les galeries participantes se trouve la galerie angolaise Espaço Arte Luanda qui expose pour la première fois et qui montre des artistes peu représentés en France. Il y aura également la galerie Afriart d’Ouganda, Art 21 du Lagos, Momo Gallery et Afronova de Johannesburg ; la Côte d’Ivoire bien sûr, avec Cécile Fakhoury et la fondation Donwahi ; les galeries londoniennes Tyburn Gallery et Tiwani Contemporary… On retrouvera évidemment des valeurs sûres comme ARTCO, October Gallery ou Magnin-A. Le Maghreb est aussi représenté avec Elmarsa de Tunisie et la Loft Art Gallery de Casablanca, car l’Afrique ne se limite pas au sud du Sahara. Il est important pour nous d’apporter une vision non exotique du continent, surtout en France où l’on ne propose pas toujours une version actualisée de l’Afrique, alors que Londres ou d’autres capitales mettent l’art contemporain africain en avant depuis longtemps.
Le problème ne serait-il pas que cette vision un peu « datée » de l’Afrique en France comporte aussi un brin de condescendance ?
Je ne dirais pas cela. Je parlerais plutôt d’ignorance. En France les clichés ont la vie dure, notamment concernant la statuaire africaine, qui connaît encore beaucoup l’engouement des collectionneurs. Paris a cependant une relation très forte avec l’Afrique, ce qui peut paraître paradoxal. Dans le récit du modernisme, où Paris a joué un rôle majeur, les artistes avaient un rapport très étroit avec l’Afrique, comme Giacometti ou Picasso qui s’intéressaient à la statuaire africaine. L’art tribal est encore très regardé en France, ce qui peut perturber la considération de ce qu’est l’Afrique aujourd’hui. Il n’y a pas de mépris pour l’art contemporain africain mais plutôt un temps de retard. Ce « printemps africain » à Paris va surement venir actualiser cette connaissance, notamment à Art Paris Art Fair qui fait la part belle aux créateurs nés dans les années 1970-1980 et à une nouvelle génération de galeries qui font la scène contemporaine africaine. Je pense par exemple à Mohau Modisakeng qui représente l’Afrique du Sud à la prochaine Biennale de Venise et qui sera montré par la Tyburn Gallery sur Art Paris. Ou encore à Ayana V. Jackson qui sera présentée en solo show par Momo Gallery en association avec la galerie Baudouin Lebon. Ces artistes africains, comme beaucoup d’autres, utilisent la représentation du corps pour interroger l’identité et l’appartenance, en relation avec les frontières.
Que pourra-t-on voir plus précisément de la scène marocaine sur Art Paris 2017 ?
Mohamed Lekléti sera montré en solo show par la galerie française Dupré & Dupré, en écho à l’exposition « L’artiste est-il un chamane ? » qui s’est déroulée cet automne au lieu d’art L’Aspirateur à Narbonne et dans laquelle Lekléti présentait une série d’œuvres explorant la figure du chamane. Hicham Benohoud aura aussi son solo show à la foire avec la Loft Art Gallery de Casablanca, où l’on pourra retrouver sa série iconique La Salle de Classe. Concernant l’Afrique du Nord, j’aimerais aussi signifier la présence d’Atef Maatallah, né en 1981, un artiste tunisien très intéressant qui sera présenté par Elmarsa.
Propos recueillis par Marie Moignard