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ENTRETIEN AVEC LE COLLECTIONNEUR MARRAKCHI JEAN-MICHEL ATTAL

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Entre son appartement parisien et sa résidence de Marrakech, ce collectionneur averti nous parle de la manière dont il conçoit une vie entre les œuvres d’art.

Si son métier n’est pas « très rock’n’ roll » comme il dit, Jean-Michel Attal, notaire français spécialisé dans l’immobilier d’entreprise, a trouvé dans l’art contemporain le piquant nécessaire à sa vie. Son appartement parisien et sa maison à Marrakech sont devenus ses petits musées dans lesquels il accroche et fait tourner, au gré de ses envies, les quelque 300 œuvres de sa collection. « Je vis avec mes œuvres, le but n’était pas de stocker ! » confirme celui qui a acheté son premier tableau à 20 ans. Si la peinture abstraite et son renouvellement font partie de ses recherches, Jean-Michel Attal ne se limite pas à un médium. Il n’est qu’à voir l’impressionnante Black Sphère de l’un de ses chouchous, l’artiste allemand Carsten Höller, trôner dans le salon, ou le suicide à la carabine Mental Projection de Gilles Barbier répandre sur l’un des murs du bureau la silhouette du monstre du Loch Ness. C’est toujours une collection d’histoires et d’aventures. Jean-Michel Attal nous raconte la sienne.

 

Comment décririez-vous votre collection ?

J’ai commencé par acheter des œuvres plutôt classiques, conformistes comme des toiles de Serge Poliakoff ou de Pierre Alechinskyavant de me tourner vers des choses plus originales. Ma collection est essentiellement européenne ce qui est assez paradoxal car mes grandes figures de références sont les peintres américains d’après guerre, Mark Rothko, Barnett Newman, Franz Kline, Morris Louis. A posteriori, ma sensibilité s’est tournée vers des artistes négligés à tort par le marché comme Helmut Federle, Bernard Frize, Imi Knoebel. Bref, j’ai acheté beaucoup de peinture abstraite. Et l’une de mes recherches est de trouver un renouvellement de l’abstraction chez de jeunes artistes. Mais ma collection ne s’est pas limitée à un médium, à un support, je suis ouvert ! Je m’intéresse également à la photographie, à la vidéo. Et quand il s’agit de sculptures ou d’installations, je vais vers un art plutôt minimal. J’ai le sentiment de ne pas être un acheteur à la mode. Je n’imagine pas ma collection comme un investissement, je reste de manière générale à l’écart des artistes dits spéculatifs et je ne revends que très rarement. Antoine de Galbert dit qu’il y a un côté névrotique à bâtir une collection. C’est absolument vrai. J’ai la conviction que la vie n’est pas digne d’être vécue sans art. L’art a façonné ma pensée. Je suis plus un cérébral qu’un sentimental, l’art parle plus à mon cerveau qu’à mon cœur. Et je vis avec mes œuvres, dans mon appartement,  mon bureau, dans ma maison de Marrakech, l’objectif n’étant  pas de stocker, même si je suis contraint de le faire en partie !

 

Vos chouchous ?

L’artiste anglais Liam Gillick. Je crois être son collectionneur privé le plus important ! Il y a aussi Carsten Höller,Elaine Sturtevantet Art & Language. Ce ne sont pas les artistes les plus à la mode !  Parmi les français, j’apprécie  particulièrement  Saâdane Afif,  Guillaume Leblon et Katinka Bock.

 

Voulez-vous placer votre collection dans une logique de circulation ?

Pour l’instant, personne ne m’a encore proposé l’exposition d’une partie de ma collection comme cela peut se faire, par exemple, à la Maison Rouge. Cela dépendrait beaucoup des commissaires à l’origine du projet et du fil conducteur de l’exposition. Je n’ai ni de politique précise en tête, ni d’équipe derrière moi. Je considère que les œuvres doivent circuler et je crois n’avoir jamais refusé le prêt d’une œuvre.

 

Comment soutenez-vous les artistes ?

J’ai soutenu un projet au Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris : le train fantôme d’Elaine Sturtevant.  J’ai produit un film de Mark Lewis, ainsi qu’une œuvre conçue par  deux artistes : Georges Tony Stoll et Yann Géraud. J’ai également permis  que le premier long métrage de Delphine Kreuter, une photographe qui s’est dirigée vers le cinéma, puisse être terminé.

 

De quelles galeries vous sentez-vous proche ?

J’ai des affinités avec la galerie Esther Schipper à Berlin, la Galerie Nächst St. Stephan à Vienne. J’aime énormément la galerie Continua, la galerie new-yorkaise Bortolami. En France, je suis proche d’Airde Paris et de la Galerie Chantal Crousel qui est pour moi la meilleure galerie française. Je me suis trouvé pendant  longtemps des affinités avec Emmanuel Perrotin qui est aujourd’hui devenue une grosse machine.

 

Votre avis sur la dernière édition de la FIAC ?

Je l’ai trouvée formidable, d’une très grande qualité avec un certain retour à la peinture. J’ai acheté une grande pièce du tandem Jennifer Allora & Guillermo Calzadilla qui a représenté les Etats-Unis à la biennale de Venise. J’ai vu une magnifique petite toile ancienne de Lee Ufan chezRosemarie Schwarzwälder qui me trotte toujours dans la tête et des choses intéressantes chez Tschudi. J’ai  également remarqué une pièce formidable de Martin Barré chez Nathalie Obadia, mais ne l’ai pas achetée.

 

 

Qu’avez-vous pensé de Marrakech Art Fair ?

J’ai trouvé très intéressant que Marrakech Art Fair présente pour sa deuxième édition une programmation vidéo. J’ai voulu apporter un petit soutien en prêtant cinq films dont « le Mur » d’Ange Leccia qui se passe en Syrie. Il est dommage que beaucoup de galeries regardent cette foire avec un air dédaigneux. Et je me suis demandé pourquoi ces mêmes galeries participaient à Art Dubaï. Je reconnais que ce n’est pas la foire d’art contemporain la plus pointue que j’ai vue mais de gros efforts ont été faits et le tandem Daoudi est très courageux ! Il faut faire évoluer les mentalités au Maroc et notamment celles de la bourgeoisie qui reste attirée par des œuvres très classiques. Je  suis convaincu que beaucoup d’artistes importants vont émerger du Maghreb.

 

Des emplettes ?

J’ai acheté chez Continua une inscription de Kader Attia et une pièce de l’artiste égyptien Moataz Nasr, que je ne connaissais pas et vais suivre de près. C’est assez rare pour moi d’acheter le travail d’un artiste que je ne connais pas. Après, je deviens glouton ! Qu’il soit chez Continua a joué dans ma décision. C’est une chance pour la foire d’avoir eu cette très bonne galerie.

 

Suivez-vous des artistes du Maghreb ?

Je me méfie de toutes ces vagues nationalistes arrivant sur le marché. Il y a eu les chinois, les indiens. Pourtant, ceux qui pourraient m’intéresser seraient les artistes du Maghreb. J’ai par exemple eu un coup de foudre à la Biennale de Venise pour l’œuvre d’Yto Barrada. Il y a aussi Hicham Benohoud que j’aime beaucoup et que j’ai acheté à ses tout-débuts. Cela fait longtemps que je suis sensible au travail d’artistes d’origine arabe, comme Saâdane Afif ou Adel Abdessemed, mais ce n’est pas tout à fait pareil. Il y a dans mes projets à venir une volonté de mieux connaître les artistes du Maghreb et sûrement d’acheter beaucoup de leurs pièces.

 

Quels sont vos liens avec le Maghreb ?

J’ai des liens très forts avec le Maroc. Je suis né en Algérie et suis rentré en France avec le gros du troupeau en 1962. La France m’a émerveillé. A 40 ans, j’ai eu ma première crise personnelle. J’ai divorcé de la mère de mes enfants. Professionnellement, je me suis repositionné. Par provocation vis-à-vis de mon milieu socioprofessionnel, qui n’est pas des plus rock’n’roll, je disais que j’étais un juif arabe. Au départ, c’était une pirouette, mais c’est bien la réalité ! Pour moi, avoir une maison au Maroc est très différent d’avoir une maison sur la côte amalfitaine ou près de Barcelone. Et quand vous êtes à Marrakech, il y a l’autre grand sujet « vivre dans la Palmeraie ou dans la médina ? ». Cela me paraissait évident d’habiter au cœur de la ville. Quand je ne travaillerai plus, je vivrai là-bas une partie de l’année et je dis toujours que j’espère mourir sur la terrasse de ma maison de Marrakech.

 

Propos recueillis par Julie Estève et Katia Feltrin

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