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Hicham Berrada « Tout existe dans la nature et nous sommes en elle »

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La curatrice Mouna Mekouar, qui a dirigé l’exposition de Hicham Berrada au Palais de Tokyo, évoque le parcours de l’artiste à l’occasion de son solo show à Casablanca.
 

Nulle part ni jamais la forme n’est résultat acquis, parachèvement, conclusion. Il faut l’envisager comme une genèse, un mouvement. » Hicham Berrada semble avoir fait sienne cette leçon de Paul Klee (in Théorie de l’art moderne, 1977) car ce qu’il donne à voir, ce n’est jamais une forme achevée, c’est un processus en formation. Il s’efforce de montrer la forme comme l’aboutissement provisoire d’un vaste et lent processus. « J’agis comme un régisseur d’énergies ; je choisis un protocole et quand l’œuvre est prête, je me place en spectateur. Au moment de l’enclenchement, je ne suis plus dans le faire », expliquait-il au Quotidien de l’art en 2013 (n°349). Rendre à l’œuvre son statut de forme en devenir, de ligne créatrice potentiellement ouverte à de nouvelles ramifications, tel est le but de Hicham Berrada.
 

Pour ce faire, il réunit des données chimiques, physiques ou mécaniques pour enclencher des processus qui échappent en partie à son contrôle créant des œuvres parfois invisibles ou latentes. Il invite par exemple avec L’Arche de Miller (2012) à faire l’expérience d’une présence inédite des énergies et des forces émanant de la matière. Avec 20 litres d’eau stérilisée, des bases puriques, des sucres, de la chaleur et du mouvement, l’artiste crée, à l’intérieur d’un vaste aquarium, les conditions nécessaires à l’apparition des premières formes de vie. « Aux commencements, il y avait une masse d’eau mouvante subissant l’action du chaud et du froid. Il y avait dedans des nucléotides. De cet ensemble de molécules, la vie est apparue sans qu’on puisse se l’expliquer », nous expliquait l’artiste (in Palais #17, fév.-mai 2013). Véritable tranche de nature, l’œuvre qui imite au plus près les processus naturels et conditions climatiques nécessaires à sa réalisation, invite à découvrir, dans un paysage presque vierge, une infinité figée, un monde en attente d’existence. 
 

Un monde en attente d’existence


Dans le même esprit, la performance Natural process activation#2 (2011) consiste à déverser dans un champ de la poudre de fer et de l’acide, soit les composantes nécessaires à la possible formation, dans 25 000 ans, d’une grotte de cristaux. « Cette œuvre échappe à l’échelle humaine du temps, précise Hicham Berrada. La vérification de l’expérience ne pourra se faire que dans des milliers d’années. Cela nous rappelle que la nature fonctionne sans l’homme. C’est aussi une pièce sur la contingence : ce qui apparaîtra sera peut-être différent de ce qui est actuellement. » (op.cit.) Son travail transporte ainsi le visiteur dans un ailleurs, un monde à la fois vivant et inerte, proposant de réfléchir simultanément aux notions de nature, de création et de temps. 


En effet, Hicham Berrada met en scène les changements et métamorphoses d’une nature activée chimiquement ou mécaniquement. Du laboratoire à l’atelier, de l’expérience chimique à la performance, l’artiste crée un univers personnel, lié à la pratique expérimentale, jouant de ses codes et protocoles. Avec Présage (2016), l’artiste fait émerger un monde chimérique qui ne cesse de se métamorphoser en associant à l’intérieur d’un bocal des liquides, des cristaux et des matières organiques dont il a le secret. Ces paysages éphémères, qui mélangent végétal et minéral, sont conçus comme des créations picturales. « J’essaye de maîtriser les phénomènes que je mobilise comme un peintre maîtrise ses pigments et pinceaux. Mes pinceaux et pigments seraient le chaud, le froid, le magnétisme, la lumière », dit-il. Pour autant, Présage ne procède pas d’une seule et unique expérience car l’artiste ne cesse d’explorer ce matériau sans limites en proposant, à chaque fois, de nouvelles combinaisons. En laissant son œuvre ouverte, l’artiste dynamise la série Présage en démultipliant les visions et les interprétations. D’une part, les réactions chimiques produisent des mondes en constante mutation qui jouent du réel et de l’imaginaire mais aussi des échelles, entre microcosme et macrocosme. D’autre part, ces transformations de la matière aux couleurs et aux formes fascinantes sont aussi filmées et simultanément projetées à l’écran lors de performances développées avec Laurent Durupt. Compositeur et musicien, ce dernier accompagne ce processus – selon une démarche analogue à celle de Hicham Berrada –  en captant et en modifiant des sons provenant de la nature. En déployant des paysages sonores et visuels lors de ces performances, la métamorphose est doublement effective, invitant désormais chaque spectateur à flotter à la surface d’un rêve. Avec cette esthétique du fragment qui se décline en tranches, vidéos et performances, Présage souligne la constante recherche de l’artiste pour une forme en devenir au-delà même de sa propre fin. En effet, chaque aquarium, chaque projection ou chaque performance de cette série est comme un miroir reflétant une matière qui se transmute pour devenir œuvre d’art.
 

Certains extraits de ce texte ont été publiés dans le cadre de l’exposition de Hicham Berrada à la galerie Kamel Mennour.
 

Consultez la suite de cet article dans Diptyk #35, contactez nous pour obtenir votre exemplaire : http://diptykblog.com/contact/
 

Hicham Berrada, « Ellil », Espace CulturesInterface, Casablanca, du 14 octobre au 19 novembre 2016. Vidéoperformance Présage avec Laurent Durupt 
 

au Théâtre 121, Institut français de Casablanca, 14 octobre 2016.

Caroline assise en pied, 1964-1965, huile sur toile, 130 x 89 cm
Caroline assise en pied, 1964-1965, huile sur toile, 130 x 89 cm
Mudi Yahaya, For Crown and Country, 2011, photo
Mudi Yahaya, For Crown and Country, 2011, photo
Hicham Berrada pendant sa vidéo-performance Présage lors de l’exposition «Sous la lune/Beneath the moon», à l’Institut des arts contemporains de Singapour en 2015
Hicham Berrada pendant sa vidéo-performance Présage lors de l’exposition «Sous la lune/Beneath the moon», à l’Institut des arts contemporains de Singapour en 2015
Peter Doig, Swamped, 1990, 197 x 241 cm
Peter Doig, Swamped, 1990, 197 x 241 cm
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