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Hommage à Hosseïn Tallal : « Ton expressionnisme suscite le choc car il interroge l’étrange beauté en nous »

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Disparu le 19 février dernier, le peintre Hosseïn Tallal laisse derrière lui une œuvre foisonnante peuplée de saltimbanques. Ghitha Triki, responsable du pôle Art et culture de la Fondation Attijariwafa bank, l’a bien connu pour avoir curaté en 2017 à Casablanca, l’exposition « Chaïbia et Hossein Tallal, une œuvre en miroir ». Elle retrace, en un hommage sensible, le parcours de ce “dandy noctambule”.

Cher Hosseïn Tallal,

La vibrante rue Omar Slaoui s’est tue. Tallal, tu t’en es allé, âgé de 84 ans, ce samedi 19 février. Les rideaux de la galerie Alif Ba [fondée par le peintre et sa mère l’artiste Chaibia, ndlr] étaient clos depuis plusieurs jours déjà, ne laissant plus apercevoir le pygmalion se tenant de sa stature imposante, au milieu de son rutilant décor baroque et promettant de nous faire rêver d’histoires (de l’art) mêlées aux souvenirs de folles nuits d’art et de lumières dont tu étais le maître incontesté. Le marbre noir de la façade s’est quelque peu opacifié, les tentures de velours carminés garderont leurs secrets et les portraits d’illustres artistes scrutent désormais le silence.

Etais-tu le miroir inversé de Chaïbia, Hosseïn Tallal ? A son art brut et spontané, tu avais opposé les études à Paris et le parcours bien tracé de tout peintre qui voulait réussir : un dessin rigoureux, une palette restreinte au rouge, noir et jaune, des prix, des distinctions et des fréquentations illustres, Cherkaoui, Gaudibert, Gainsbourg. Et dès le début, une figure rémanente : le personnage de cirque, le clown, le troubadour, comme si tu ressentais une profonde similitude entre leur condition et celle des artistes peintres.

Tu t’es alors frayé un chemin solitaire dans le paysage de l’art au Maroc, tournant le dos à l’abstraction dominante du Maroc post-indépendant. Tes premiers « Portraits imaginaires », enfants aux corps et aux visages contorsionnés, tu les as cherchés au départ dans les Contes fantastiques d’Edgar Allan Poe, incarnations dérisoires de notre monde. « Des êtres qui m’habitent et qui viennent de moi… », disais-tu en 1967 au critique d’art Gérald Gassiot-Talabot, et des similitudes remarquées avec Francis Bacon. Puis, tu t’étais effacé pour laisser toute la lumière à Chaïbia, mère qui t’avais élevé avec courage et vaillance, veuve à 15 ans, dont tu n’avais pas fait le deuil, femme qui s’était émancipée par la grâce de coups de pinceau enjoués.

Mais le désir de peindre, et celui de vivre ardemment aussi, est plus fort que tout. Florissantes années 1970 où s’enchaînent les expositions partout dans le monde, en filigrane du rayonnement international que connaîtra Chaïbia. Au Salon de Mai et au Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris, à la galerie L’œil de Bœuf qui fera le lien avec les débuts parisiens de Chaïbia. Une période où tu débuteras ta série Danseuse de Bachko (1974-2004), Cirque oublié (1980-1992), leitmotivs d’un catalogue où reviendront quatre autres thèmes majeurs, les Artistes voyageurs de nuit (2002-2015), les Portraits imaginaires (2008-2019), les hommages à La Goulue et au Valentin le désossé d’Henri de Toulouse-Lautrec (2012-2013), que tu admirais tant. Ton expressionnisme traverse le temps, suscite le choc car il interroge l’étrange beauté en nous. Rembrandt et Goya ne sont pas loin, qui sondent la destinée humaine en ses caprices et cruautés.

Hossein Tallal, Sans titre, huile sur toile, 105 x 76 cm. Collection du ministère de la Culture.

Les années 1980 furent des années de vie mondaine très intense. Toi, que Farid Belkahia avait surnommé le dandy noctambule, tu recevais sans relâche à la galerie Alif-Ba ouverte le 3 mars 1982, vedettes nationales et internationales, collectionneurs de tous pays, hôtesses de l’air et femmes du monde. Imprésario de jeunes artistes, collectionneur boulimique de voitures et de photographies de mariages entre autres, ardent défenseur de l’œuvre de Chaïbia, tu avais délaissé la solitude de l’atelier pendant près de vingt ans.

Mais tu nous es revenu en 2003 avec tes Artistes voyageurs de nuit, une balade au cœur de la mélancolie, que le critique d’art Jean-Pierre Van Tieghem, dans la lettre qu’il t’adressait en décembre 2003, décrit ainsi : « Ils sont devenus comme des images dépouillées de tout décor, de tout environnement. Leur passé s’est subitement évanoui. Les traces de mémoire ont disparu. Restent les couleurs de la peau et des vêtements bariolés qui sont comme peints sur une toile. Autour de ces arlequins, il n’y a que du noir, une sorte d’abîme profond. Il est si foncé qu’il pourrait bien indiquer la longueur du trajet qu’ils vont parcourir. Parfois, ils s’assoient pour faire en sorte de protéger leur reste d’énergie pour affronter la nuit. »

Dès lors, tu peindras sans relâche, ces silhouettes spectrales, démesurées et parfois hybrides, ces têtes, comme tu les nommais simplement. A y regarder de plus près, ce sont des faces sans relief ni modelé, qui se détachent sur des fonds monochromes criards, accentuant une lourde tristesse, la bouche soulignée d’un rouge écarlate et les yeux mi-clos. Des fantômes affublés d’un maquillage grossier et d’une coiffe inutile à leur évanescence.

Ainsi s’accomplit le voyage. Il fallait s’attendre à plonger dans ce magma dont tu demeurais le noyau bien vivant. Tu t’en vas rejoindre tes saltimbanques et tes troubadours, tes funambules et tes dames aux joues colorées, panthéon de destinées en exil, sous un chapiteau éternellement étoilé. Et ici-bas, nous demeurent leurs fuyantes traces peintes d’un trait fluide, d’une seule couleur acide, expressions d’une mélancolie qui aimait la vie.

Ghitha Triki

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