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[ HOMMAGE ] Leïla Alaoui, Photo documentaire, photo d’art

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Pour Leïla Alaoui, la photo est une écriture. La sienne parle de harraga, se fait véhémente contre la dictature des frontières. Elle oppose un regard acéré et solidaire à celui, frôlant le voyeurisme, de certains photographes venus d’ailleurs.


Un look baba cool et, à la main, toujours, un sac trop grand pour sa frêle silhouette. Leïla Alaoui ressemble à une éternelle voyageuse qui, sans cesse, arrive de quelque part ou s’y rend. Quand elle vous parle, elle détourne souvent le regard, comme si elle ne voulait pas perdre une seconde de la vie du monde qui l’entoure. D’où lui vient ce besoin incessant de capter le visuel ? « De ma mère, je crois. Elle était très cinéma, très photo, très art. Elle n’était pas photographe professionnelle mais était passionnée par les images et les prises de vue. Elle m’a inculqué ce désir d’image dès mon plus jeune âge. »

Une envie taraudante de travailler sur le Maroc

Née à Paris, Leïla Alaoui passe son enfance au Maroc puis s’envole pour New York. « Je me suis inscrite à des cours de sociologie, d’anthropologie et de cinéma. Je voulais d’abord me spécialiser dans le documentaire. Mais la photo, que je pratiquais aussi, m’a complètement happée. J’aimais travailler sur la lumière, faire des portraits. Finalement tout s’est rejoint puisque je me considère comme photographe documentariste à la fibre de reporter.» La jeune artiste obtient un Bachelor of science en photographie, s’introduit dans les métiers de l’image, forge sa passion en travaillant avec Shirin Neshat au Maroc, s’introduit sur le plateau de tournage d’un film américain comme assistante du chef opérateur, travaille avec des photographes de mode puis, peu à peu, se spécialise dans le portrait.

Après huit années passées aux Etats-Unis, l’artiste décide de rentrer au Maroc. « L’envie me taraudait de travailler sur des sujets marocains. » La question des frontières ainsi que les drames vécus au quotidien par les harraga interpellent d’emblée la nomade qu’elle est. « Je trouvais qu’il n’y avait pas assez de photographes marocains engagés faisant un vrai travail sur cette dimension des harraga. Et quand ce travail est fait, c’est toujours par des Européens, avec un regard européen. »

L’angle de son reportage photo, Leïla Alaoui le fixe d’emblée. Avant la mer, avant les périlleuses traversées en patera, elle veut comprendre ce désir de partir. C’est donc par les régions les plus concernées par l’émigration qu’elle commence. Elle s’installe parmi les regards sans cesse tournés vers « là-bas », saisit les frustrations et les non-dits. Ainsi naît le travail « No Pasara » (voir Diptyk n°2, p.14). « Dans cette série de photos, il y a une structure. Cela commence par les plus jeunes, les enfants qui travaillent, le berger qui passe sa journée à surveiller un troupeau de moutons par 50 degrés à l’ombre. Il voit chaque été son oncle, aisé, revenir de l’étranger alors que lui, à sept ans, vit en enfer et ne va même pas à l’école. Après, l’on passe à la symbolique des signes qui annoncent le rêve de partir, à des mots inscrits sur des tee-shirts comme Andalucia… Enfin, j’en arrive à ceux qui ont vraiment voulu partir mais qui ont échoué. Et c’est la mer qui ferme le travail. » Des portraits que menace le vide en arrière-plan, de grands angles où les failles se font vertigineuses. Des photos mais surtout des moments de vie et de partage. « J’ai vécu avec ces jeunes et leurs familles. J’avais besoin de partager leur réalité, de la ressentir, avant de pouvoir traduire leurs histoires en images. Il y en a certains avec qui je suis toujours en contact. Je leur ai envoyé les photos que j’avais prises d’eux et j’ai exposé dans la région de Kasbah Tadla, non loin de chez eux. Depuis, quelques-uns ont remis en question leur envie de partir et cela m’a beaucoup émue. »

Avec « No Pasara », Leïla Alaoui s’inscrit dans des débats très actuels. Qu’est-ce que la photo documentaire ? Est-ce de l’art ? « Aux Etats-Unis, on commence à beaucoup s’y intéresser, à parler de la photo documentaire en tant que photo d’art. Ce qui conduit à un autre débat : si la photo documentaire est de l’art, peut-on pour autant, d’un point de vue éthique, la vendre ? Certains artistes disent oui et exposent leurs photos pour les vendre, d’autres refusent de le faire et je me range avec ces derniers. Ainsi, dans No Pasara, les photos où l’on peut reconnaître les personnages ne sont pas à vendre. J’aime le concept de photo documentaire d’art, mais je ne veux pas le faire flirter avec l’exploitation humaine. »

« La photographie documentaire est pour moi un moyen de créer tout en parlant de la condition humaine. Si je pouvais écrire, j’aurais écrit. Je considère la photo comme une forme d’écriture qui me permet d’approcher les sujets qui me tiennent à cœur. »Le regard de Leïla Alaoui est le « regard nomade » d’une artiste qui marque son opposition à la dictature des frontières.


Par Afaf Zourgani publié en janvier 2010, il y a 6 ans, dans notre portfolio

Le lac rose, Japon, 2012 60 x 45 cm Chromogenic print 8 éditions
Le lac rose, Japon, 2012 60 x 45 cm Chromogenic print 8 éditions
Yamou, Cellules, série Les Jardiniers, 2014, huile sur bois. Courtesy de l'Atelier 21
Yamou, Cellules, série Les Jardiniers, 2014, huile sur bois. Courtesy de l'Atelier 21
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