Entretien avec Nadine Descendre
Commissaire de l’exposition «Kacimi, 1993-2003, une transition africaine» qui s’ouvre au Mucem de Marseille, la critique d’art Nadine Descendre est l’auteure du catalogue raisonné des œuvres de Mohammed Kacimi (Art’Dif, 2017) et de sa monographie. Elle nous parle de l’œuvre du peintre, qu’elle a bien connu à l’époque où elle vivait au Maroc.
Quel est l’enjeu de cette exposition, quinze ans après sa disparition ?
L’exposition ouvre une série à venir sur des artistes qui ont été le vecteur d’une transition, dans le bassin méditerranéen, entre la peinture et une forme de contemporanéité plastique plus transdisciplinaire et moderne. En repassant dans les pas de cet artiste, après la longue et complexe réalisation de trois volumes sur son œuvre, son rôle de passeur s’est imposé à moi et j’ai voulu faire partager cela à tous ceux qui ne le connaissent pas pour ce qu’il est vraiment. Il m'est apparu que par sa liberté et son ouverture d’esprit, il avait ouvert des pistes nouvelles, sur la scène marocaine, dans le champ des arts plastiques. De nombreux jeunes artistes, aujourd’hui internationalement reconnus, lui doivent beaucoup, quelquefois sans le savoir.
Dans son parcours, qu’est-ce qui vous a marquée ?
Sa maîtrise du geste de peindre dès sa prime jeunesse. Très tôt, on sent une identité d’artiste qui s’affirme, alors que son parcours est celui d’un autodidacte. Sa curiosité. Son humanité. Son opiniâtreté. Des années 70 jusqu’au basculement de la Grotte des temps futurs (1993), il s'est cherché, série après série. Aguerri par une enfance qui ne lui a pas fait de cadeaux mais dont il sort conquérant, son école est celle de la fréquentation du plus de musées possible en Allemagne, aux Pays-Bas, en Italie. Il se serait d'ailleurs installé dans le musée du Louvre si cela avait été possible. En revanche,
l’académisme des écoles le rebute. Il comprend qu’avec son vécu, cela s’expérimente ailleurs et autrement. Sensible à tout ce qui l’environne, il cherche comment exprimer sa vérité, être au plus près du réel, et comprend que cela se passera pour lui entre deux cultures. La sienne, arabe et africaine, et celle de cet Occident qui lui fournit un premier matériau qu’il va falloir transformer… Il se fabrique peu à peu une pensée sur l’art, en fréquentant les intellectuels, les poètes, les vrais acteurs de la défense des droits de l’Homme et les autres artistes qui lui sont proches. Mohammed Bennis, Abdelkebir Khatibi, Abdellatif Laâbi mais aussi Miloud Labied, Fouad Bellamine sont de ceux-là, parmi tant d’autres.