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Kerkannah, une petite île arty

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Nous l'avons attendu avec curiosité. Puis impatience. Il y a un an et demi, la curatrice tunisienne Olfa Feki dévoilait dans nos pages son projet de festival de photographie sur l'archipel de Kerkennah, au large de Sfax. Problèmes de financements, scepticisme des institutions et des sponsors, Kerkennah01 aura mis 3 ans à émerger. Le projet n'était pas simple. En misant sur le sud de la Tunisie, Olfa Feki prenait le pari de décentraliser une offre culturelle souvent capter par Tunis, sans parler de la logistique forcément plus complexe sur une île – les cinq curateurs internationaux invités en ont éprouvé les difficultés jusqu'à la veille du vernissage. Mais Kerkennah ou rien. « Je n'étais pas revenue depuis mes 14 ans sur l'île, rien n'avait changé, explique Olfa Feki. Avec ce festival y avait l'envie de revaloriser ce territoire trop souvent oublié des politiques culturelles ». La stratégie sera sans doute à terme payante quand on sait le succès que connait aujourd'hui Djerba. Il faut créer des pièges pour que les gens viennent voir nos expos, confiait récemment un curateur. Les plages dorées à perte de vue de Kerkennah, ses couchers de soleil saisissants et les nombreux concerts organisés en parallèle des expositions ont sans doute joué à plein pour les visiteurs venus le week-end du lancement (23 et 24 juin) de Sfax ou Tunis. L'effervescence n'a pas faibli dans le Grand Hôtel de Kerkennah – centre névralgique du festival –  joliment décalé avec son ambiance un brin seventies. Les aléas essuyés pendant la production de Kerkennah01 font peut-être paradoxalement la force de ce nouveau festival. Pendant ces deux ans d'incertitudes, les curateurs ont peaufiné leurs projets lors de résidences basées sur un système de mentoring entre curateurs confirmés – Misla Libsekal (Art X Lagos) ou John Fleetwood (Photo/ DemocraSEE prize) – et  jeunes commissaires prometteurs  –  Valentine  Busquet ou Hejer Chelbi qui signe une exposition inventive tout en réalité augmentée, invitant les visiteurs à visser des casques Oculus Go sur la tête. « C'est assez unique d'avoir 2 ans pour débattre et imaginer un festival», reconnaît Jeanne Mercier qui proposait une exposition « Occupy the desert » en deux volets avec, notamment, le collectif algérien 220. Un luxe rare qui se ressent dans les propositions curatoriales qui investissent l’impressionnant espace du hangar naval de Kerkennah, magnifiquement décati. Toutes prennent comme point de départ l'île et en contrepoint le désert – îlot spatial, temporel, métaphorique – pour en explorer les potentialités politiques et utopiques : des réflexions menées sur le phénomène de mirage  fata morgana parfois observé en mer à l'excellent travail dystopique de Nicolas Moulin (nommé au prix Marcel Duchamp en 2009) qui présentait son tentaculaire projet Azurazia. Ici, Moulin s'inspire de la folle utopie de l'architecte allemand Herman Sörgel qui imaginait, dans les années 1920, un barrage gigantesque dans le détroit de Gibraltar capable d’irriguer l'ensemble de l'Afrique. A travers ses photomontages, cartes imaginaires et saynètes fictionnelles, le plasticien créé un univers de désolation familièrement étrange, métaphore à la fois glaçante et extrêmement poétique de la catastrophe écologique qui se profile déjà aujourd'hui. 
 
Le marabout des photographes tunisiens 
 
À quelques kilomètres du hangar naval, via la route centrale époustouflante de beauté, la Galerie Ghaya (Tunis) exposait la scène photographique tunisienne (dont l'excellente Mouna Karray) dans une zaouia (marabout) rénovée pour l'occasion. Plus loin, les tirages de Philippe Chancel et Bruno Hadjih envahissaient, quant à eux, le centre ville de Ramla au cœur de l'île. Un dialogue sensible et très réussi sur l'intrusion de la mondialisation dans le désert du Sahara (Bruno Hadjih) et dans les Emirats arabes unis (Philippe Chancel). 
Au delà de la diversité des propositions, l'un des points forts de Kerkennah01 est  sans doute d'avoir réussi, malgré un budget serré, à faire de cette première édition un événement véritablement international tant dans le choix des commissaires que des artistes venus d'Europe mais aussi de l'Afrique anglophone. « L'Afrique du Sud a longtemps été à part sur le continent comme une île, reconnaît  Simon Gush. L'artiste sud-africain exposait pour la première en Tunisie. « Kerkennah fait partie de cette dynamique de dialogue qui s'intensifie depuis quelques années entre le nord et le sud de l'Afrique. C'est une bonne chose ». Il est trop tôt pour tirer un bilan. Peut-être peut-on avancer que Kerkennah01 a tous les atouts pour devenir un véritable rendez-vous dans l'agenda du continent. Wait and see.  
 
Emmanuelle Outtier 
Mohamed Baala, série The time in my brain, 18 pages d’un livre d’histoire portant sur le colonialisme avec intervention au feutre, découpage et collage Courtesy de l’artiste et Galerie 127
Mohamed Baala, série The time in my brain, 18 pages d’un livre d’histoire portant sur le colonialisme avec intervention au feutre, découpage et collage Courtesy de l’artiste et Galerie 127
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