Laetitia Ky : “Le cheveu des Africaines est politique”

Elle bouscule les codes, Laetitia Ky. Passée directement des réseaux sociaux aux cimaises de la biennale de Venise, la jeune artiste ivoirienne crée des œuvres d’art à partir de ses cheveux et promeut une féminité décomplexée. Elle est devenue, en quelques années, une des figures de proue d’un féminisme millenial et africain.

“Ce que je montre, c’est ma fierté d’être une femme noire et ma fierté d’être une femme tout court”. Véritable phénomène sur les réseaux sociaux, Laetitia Ky se met en scène parée d’extravagantes sculptures capillaires aux revendications féministes. Car “le cheveu des Africaines est politique”, assène la jeune femme qui, à 26 ans, expose pour la première fois à la biennale de Venise, en ouverture du pavillon de son pays, la Côte d’Ivoire.

Plus que la dimension esthétique des coiffures africaines, inventoriées dès les années 1960 par le photographe nigérian J.D. ‘Okhai Ojeikere, c’est la puissance transgressive du cheveu qui parcourt les œuvres de Laetitia Ky. “J’ai eu mon premier défrisage à 5 ans, c’était la norme. La première fois que j’ai su qu’une femme noire pouvait garder ses cheveux crépus et vivre avec, j’avais 16 ans. Pourtant je vis dans un pays africain!” Ky fait de ses sculptures une tribune pour une meilleure acceptation de soi et un pamphlet contre les diktats de la beauté – les cheveux lisses des mannequins blancs – qui ont longtemps prévalu et complexé des générations de femmes africaines ou afro-descendantes. “Quand mon travail a pris de l’ampleur, j’ai commencé à recevoir des messages de femmes d’un peu partout dans le monde et en particulier des États-Unis, qui me disaient que cela les aidait à se sentir mieux vis-à-vis d’elles-mêmes, vis-à-vis de leur identité de femmes noires”.

Artiste et influenceuse 

Menstruation, culture du viol, inégalités, excision, mariage forcé, les sculptures figuratives et extrêmement contemporaines de l’artiste dénoncent aussi les tabous entourant le corps feminin et les logiques patriarcales qui, encore aujourd’hui, tronquent les possibilités d’émancipation des femmes. Dans l’une de ses mises en scène, Laetitia Ky arbore une coiffure composée de serpents, intitulée “Medusa”. Dans la mythologie grecque, Méduse est violée par Poséidon dans le temple sacré de la déesse Athéna qui, en retour, transforme l’infortunée en Gorgone. “Méduse, note Laetitia Ky, est une métaphore de la façon dont le monde a encore tendance à punir les victimes de viol plus que les violeurs”. Elle est aussi cette insoumise qui pétrifie les hommes qui la regardent…

Sans détour, Laetitia Ky se revendique féministe et reprend les chevaux de bataille de ce mouvement historique, avec l’impact et la modernité que lui confèrent les réseaux sociaux. En novembre 2021, elle lançait son projet #16daysofactivism en relayant auprès de sa communauté – 500 000 followers sur Instagram,  6 millions sur Tiktok –  les témoignages d’anonymes, victimes de violences. Des récits édifiants accompagnés de sculptures illustratives. “Je suis persuadée que le meilleur moyen de lutter contre la violence est d’utiliser le pouvoir des mots. Nos voix sont incroyablement puissantes et peuvent changer des vies !” écrivait-elle dans sa publication. La jeune femme déchaîne les passions : elle inspire autant qu’elle suscite les insultes et menaces de nombreux haters.

L’artiste – influenceuse creuse pourtant son sillon, dans le monde réel aussi. À Venise où elle a largement participé au succès du pavillon ivoirien mais aussi avec la sortie, en avril dernier, de son premier livre Love & Justice – A journey of empowerment, activism and embracing black beauty. “La force du travail de Laetitia Ky, c’est sa portée universelle, valide sur les 5 continents”, résume le curateur Alessandro Romanini. Une créativité frontale qui ancre encore un peu plus le féminisme dans l’ère 2.0.

Emmanuelle Outtier

Tous les visuels sont issus du compte instagram de Laetitia Ky : www.instagram.com/laetitiaky/