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L’appartement 22 entame-t-il une nouvelle ère ?

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À l’occasion des 20 ans de L’appartement 22, son fondateur Abdellah Karroum revient sur la genèse d’un espace d’art indépendant dont le modèle a depuis essaimé. Quel bilan tirer de cette aventure qui a vu émerger une nouvelle génération d’artistes ?

L’appartement 22 est apparu en 2002 alors que, selon vos propres mots, « l’inconscient du champ de l’art [demandait] à être défragmenté pour libérer de l’espace d’expression ». Ces promesses ont-elles été tenues ? 

Merci de revenir sur cette notion de défragmentation, qui vient des ordinateurs du XXème siècle qu’on devait défragmenter, en réorganisant l’archivage digital, pour optimiser l’espace des disques durs et la vitesse des informations. La référence à cette idée me permettait de mettre en pratique, dans le champ de l’art, le processus d’identification des espaces « non-utilisés » et d’autres lacunes du système de production et de diffusion, notamment au Maroc.

Plus qu’une promesse, L’appartement 22 est né d’une nécessité d’un tel lieu dans le contexte de l’époque. Il manquait un lieu de rencontres où les artistes pouvaient se sentir libres tout en restant connectés aux réalités sociales, culturelles et politiques, avec leurs tabous, privilèges et interdits. Il faut garder à l’esprit que le monde passait par des années de transition politique complexe durant laquelle s’est développée la gouvernance par l’image.

Vues de l'exposition L'appartement 22 (2002-2022), L’appartement 22, Lot 219 (espace temporaire), Bensouda-Fez, 2022. Crédits photographiques: Sanaa Zaghoud.

En 20 ans, le monde a changé, mais l’art a-t-il changé le monde comme vous le rêviez alors ? 

L’art fait partie de ce monde qui change. Les formes de l’art changent, mais l’essence de l’art coule toujours de source. Chaque époque apporte de nouveaux éléments à ses  langages. La génération d’artistes avec laquelle j’ai essentiellement travaillé dans le contexte de L’appartement 22 a adopté des outils innovants et a dompté la rudesse du milieu social et politique. La Génération 00 a participé à l’éveil et aux mouvements pour le changement. Nous avons vu un moment où ont culminé les désirs qui ont mené à l’action avec les « printemps arabes ». Les artistes ont continué à rêver, même si les systèmes politiques ont souvent résisté aux peuples. Je pense à l’œuvre de Mustapha Akrim « We Had A Dream » (2011), qui illustre parfaitement cette idée de désillusion théorisée par A. Mouadden et Tayeb Belghazi dans leur essai Ihbat : disillusionment and the Arab Spring in Morocco.

Quels auront été selon vous les moments forts de ces 20 années, notamment en termes de rencontres et d’exposition ? 

La toute première exposition « JF_JH (Individualités) » fut un moment de grande densité et d’émotion. Lors du vernissage de cette exposition de Safaa Erruas et Younes Rahmoun, nous avions placé une caméra 3CCD sur le balcon et les images étaient projetées en direct à l’entrée. Je me souviens de la présence de Miloud Labied, Kacimi et d’autres artistes à ce vernissage. Ensuite, chaque projet était unique. L’exposition-programme « Une leçon de peinture avec Fouad Bellamine » est organisée juste après. Au-delà de la vitalité des œuvres et de l’intensité des rencontres, il y a eu des moments forts en relation avec ce qui se passait dans le monde. Un jour, avant l’ouverture de L’appartement 22, j’ai mis le projecteur sur le balcon en signe de protestation contre la guerre en Irak.

Ces deux décennies ont été celles de l’expansion des espaces de partage, d’internet, de l’espoir du changement des modèles de gouvernance, des « printemps arabes », mais aussi celles de multiples crises écologiques, sociales et éthiques. Nous avons vu le monde changer « sous nos yeux ». Les médias ne sont plus les mêmes, nos habitudes se sont transformées du physique au digital, y compris dans les relations professionnelles, familiales et amoureuses. Des artistes comme Yto Barrada et M’barek Bouhchichi ont su traverser cette époque avec agilité. Soukaina Joual, Maria Karim, Sara Ouhaddou nous posent des questions encore à discuter.

J’aimerais évoquer deux projets forts qui ont vu le jour grâce  – et à cause de L’appartement 22 – : l’exposition Trilogie Marocaine 1950-2020, qui eut lieu au Reina Sofia à Madrid en 2021 et fut un moment fort pour le débat sur l’histoire de l’art au Maroc et sa représentation internationale. L’exposition des 20 ans qui a lieu en ce moment au Lot 219, dans un quartier industriel de Bensouda près de Fès, célèbre les productions des deux décennies qui viennent de s’écouler, et en même temps démontre l’importance des espaces indépendants qui jouent un rôle majeur dans le développement de la scène artistique au Maroc.

Vues de l'exposition JF JH individualités (réédition), L’appartement 22, 2022. Crédits photographiques: Sanaa Zaghoud.

Quelles synergies pensez-vous avoir contribué à développer avec L’appartement 22 ? 

L’appartement 22 est né d’énergies qui étaient déjà là. J’ai seulement voulu essayer de les canaliser et de relier les savoirs faire. Le fait que ces énergies circulaient dans les bons réseaux a permis la production exponentielle de réacteurs anti-réactionnaires. La synergie des initiatives qui se sont multipliées par la suite a été amplifiée car l’âme de ces projets était nourrie de générosité. Il y a des initiatives et  des projets d’artistes qui précèdent L’appartement 22 ou qui viennent après. Un grand nombre d’espaces se sont ouverts, des collectifs d’artistes constitués, des plateformes onlines ont vu le jour, et L’appartement 22 a souvent servi de relais quand on ne pouvait pas accompagner ou accueillir les projets. Tout cela consolide les mini-investissements et amplifie les micro-projets.

Quels sont vos projets à venir ?

Le monde passe par des moments d’incertitude, hantés par les fantômes des tragédies de la civilisation humaine. En 2021, j’ai planté des centaines d’arbres sur une colline dans le Rif, une action que nous avons baptisée 100 ans d’arbres, pour la mémoire des ancêtres morts à Anoual en 1921. Cette année, j’invite les artistes à continuer à planter des arbres, un geste citoyen, tout en réfléchissant aux projets à venir. Je crois aux recommencements. Par ailleurs, cette année, nous fêtons les 20 ans de L’appartement 22, nous continuons à travailler sur la grande exposition expérimentale à Fès tout en organisant des rencontres importantes pour contempler la production de ces deux décennies. Nous comptons bientôt lancer un programme de résidences d’artistes et auteurs, pour accompagner les artistes émergents et provoquer les chercheurs pour réfléchir sur le monde.

Propos recueillis par Olivier Rachet

Vues de l'exposition L'appartement 22 (2002-2022), L’appartement 22, Lot 219 (espace temporaire), Bensouda-Fez, 2022. Crédits photographiques: Sanaa Zaghoud.
Vues de l'exposition L'appartement 22 (2002-2022), L’appartement 22, Lot 219 (espace temporaire), Bensouda-Fez, 2022. Crédits photographiques: Sanaa Zaghoud.
Vues de l'exposition JF JH individualités (réédition), L’appartement 22, 2022. Crédits photographiques: Sanaa Zaghoud.
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