Profitant de l’actu mondiale, L’Atelier 21 rassemble son équipe d’artistes autour du thème du foot, qui n’en est pas à sa première fraternité avec le monde de l’art. Beaucoup de crampons, ballons, mais pas uniquement.
On l’aura compris, tous les quatre ans, au moment de la Coupe du monde, toutes les porosités sont permises, voire souhaitables entre art et foot. L’exposition thématique « Art et football » que propose la galerie casablancaise autour de son « équipe » d’artistes (plus de 11 mais moins de 22) participe de cet effet opportuniste, certes. Cette année, il y a aussi, pour notre pays, le spectre 2026, un chiffre tout rond dont personne aujourd’hui n’ignore la portée cabalistique. Si au moment où l’on écrit ce texte, le suspens est entier, quand vous lirez cet article, on saura si le Maroc accueille la Coupe du monde dans 8 ans. Mais il y a autre chose. Car la parenté entre art et foot n’est pas qu’une question d’agenda. Les deux univers partagent le même sens de la créativité, du star system, de la démesure et il faut bien le dire parfois, de la religion… Après tout, les grands noms de l’art ont parfois eux aussi investi les terrains de football. Le peintre Miró était l’auteur de l’affiche de la Coupe du monde 1982. Neymar dépasse désormais le prix d’un Van Gogh Plus récemment, le film hybride de Philippe Parreno et Douglas Gordon Zidane, un portrait du XXIe siècle, à mi-chemin entre cinéma, peinture et performance, montrait 90 minutes durant, les moindres faits et gestes du joueur-star, lors d’une rencontre disputée avec le Real Madrid en 2005. Le Mucem ne s’y est pas trompé en y consacrant cet hiver l’ expo « Nous sommes foot », ni l’artiste français Abdessemed en illustrant le coup de tête de Zidane, dans une célèbre sculpture qui gêna aux entournures le parvis du Musée Mathaf à Doha. Et s’il aura fallu 220 millions d’euros pour le transférer, le prix du footballer Neymar dépasse désormais le prix d’un Van Gogh ! Rencontré il y a quelques semaines pour nous parler du travail qu’il produit pour ce group show, c’est Mohamed El baz que l’on désigne arbitrairement comme capitaine de cette curieuse équipée contemporaine. À bâtons rompus, on évoque ces ressemblances, cette fraternité incongrue entre art et foot. Passé maître dans la confection d’images super efficaces (on se rappelle ses « photos feu », montrant un visage enflammé, tristement annonciatrices de l’immolation du jeune pousseur de charrette qui mit le feu aux poudres des pays arabes en 2011), il produit cette fois une prise de vue sur son rooftop casablancais, montrant des silhouettes de dos, habillées de djellabas à capuche portant des numéros de poste, comme dans une équipe de foot. « C’est un thème qui m’intéresse. Je me suis demandé si le foot pouvait être ce lieu d’expérimentation, mi-fête mi-guerrilla. Ce qui me passionne sociologiquement, c’est ce qui a précédé la qualification de l’équipe marocaine. Dans le train, le taxi, après le match en Côte d’Ivoire, j’ai essayé de savoir qui étaient ces individus qui avaient arraché la qualification, les titulaires, leur numéro. J’ai ensuite fait appel à 11 artistes de mes amis que j’ai affublés de djellabas portant ces fameux numéros. Au loin, les Twin, la grande mosquée, l’image est mystérieuse. » On trouvera réunies dans cette expo des expérimentations plus ou moins convaincantes mais jouant toutes sur l’hybridation des deux univers. Quelques babouches siglées, comme chez Makhloufi ou Hajjaj, notre génie du Pop Art, côtoient des ballons, bien sûr – Vuitton chez Hajjaj, cachant le visage d’une icône christique chez Fouad Maazouz, finement brodés chez Majida Khattari, ou stylisés à l’extrême dans un enchevêtrement d’amulettes chez Hassan Darsi… Les pelouses évoquent le foot par effet métonymique chez Lamia Naji, qui propose une photo prise avec un grand angle à partir de la cage du goal, image très virtuose tout à fait conforme aux cadrages TV, ou chez le facétieux Younes Atbane, qui dessine une pelouse impossible qui n’est que lignes et corners ! Le foot ne serait pas ce qu’il est s’il n’y avait pas les figures prophétiques, mythiques comme ce très beau dessin de Abdelkébir Rabii figurant le milieu offensif Larbi Ben Barek alias « La Perle Noire », ou encore un Maradona qui se dessine en filigrane dans les poétiques calligraphies de Zakaria Ramhani. N’oublions pas que c’est un jeu, semblent nous dire Fettaka avec son baby-foot, ou Fariji qui enferme quelques protagonistes de ces nouveaux jeux du cirque dans une boule à neige : flics, joueurs, chauffeurs, supporteurs… L’expo n’aura vraiment de sens que si elle force la rencontre entre amoureux de foot et amoureux de l’art, et fait dialoguer ces deux univers impitoyables.
Meryem Sebti