Taper pour chercher

LE PRINTEMPS AFRICAIN SELON SIMON NJAMI

Partager

Quel regard porte le monde sur l’art africain ? Comment produire, de l’intérieur, des évènements qui révèlent nos artistes ? Comment mieux faire dialoguer Afrique subsaharienne et Maghreb ? Entretien avec Simon Njami.

Son œil est grondeur, presque torve. Il contient, profond, quelque chose de révolutionnaire. Simon Njami ne s’apprivoise pas. En tout cas, pas tout de suite et jamais tout à fait. Pourtant, l’humour s’amène, gagne et perce. Si précis, implacable. Pourtant, quelques sourires et quelques verres, des cigarettes et un échange, généreux. Simon Njami est pluriel, chargé de la couleur des mots et des rencontres. Il y a l’écrivain et, derrière, il y a le directeur artistique des Rencontres africaines de la photographie à Bamako en 2001, 2003 et 2005, le commissaire d’exposition d’Africa Remix en 2005 et du pavillon africain de la 52e Biennale de Venise en 2007. Voilà pour les grandes aventures. Co-fondateur et rédacteur en chef de la Revue Noire, Simon Njami continue de penser l’art contemporain, l’Afrique, le monde et tout le reste.

Comment le regard du monde de l’art occidental sur les artistes africains a-t-il évolué ?

Simon Njami : Je vous mets au défi de me citer une exposition majeure exclusivement dédiée aux artistes africains depuis Africa Remix. Le regard du monde de l’art sur les artistes africains n’existe pas. Avant 1991, il n’y avait pas un Africain à Venise. Et les premiers à s’être intéressés d’une façon un peu sérieuse à la création africaine étaient les ethnologues. Or, ils s’intéressaient au vieux bois et leurs recherches ne portaient pas sur l’esthétique, l’histoire de l’art. On peut pardonner un temps aux braves commissaires occidentaux leur aveuglement mais à partir du début des années 90, il eut été difficile pour eux de prétendre que l’art contemporain africain n’existait pas. Aujourd’hui, nous nous sommes éloignés du discours sur l’authenticité mais pour tomber dans le piège de ce que nous appelons les usual suspects, c’est-à-dire les artistes que l’on voit beaucoup et qui font le tour du monde. Personnellement, je ne sais toujours pas ce qu’est un Africain. Simplement, le monde de l’art est tellement «courageux», «aventureux» et «intrépide» qu’il attend tranquillement que les artistes soient montrés par d’autres pour les intégrer.

Que manque-t-il à l’Afrique pour qu’elle puisse révéler elle-même ses artistes ?

Des plateformes, des lieux et des moments mais il faut des propositions pertinentes,  stimulantes. Il faut aussi que l’Afrique pense à conserver ce qu’elle a. On se plaint que le Louvre, le British Museum soient remplis d’œuvres du passé africain. Si les Africains ne font pas leur boulot, dans 200 ans, les prochaines générations pourront tenir le même discours. Il n’est pas normal que Beaubourg, la Tate ou le MoMa commencent à collectionner des œuvres contemporaines d’artistes africains et que l’Afrique, elle, ne fasse rien.

Quelle politique culturelle pour l’Afrique ?

Il faudrait un grand printemps africain qui ne tourne pas à l’hiver, à l’orage. Il y a un changement fondamental et générationnel à opérer. Le Cameroun, dont je suis originaire, vient d’élire un «jeune homme» de 78 ans. M. Abdoulaye Wade au Sénégal est un «jeune homme» de plus de 80 ans qui voudrait se faire réélire. Il y a quelque chose de pourri dans le royaume africain. Léopold Sédar Senghor est le seul président à avoir consacré 30 % du budget de l’État à la culture et l’éducation. Pour pallier l’incompétence des pouvoirs, il y a beaucoup d’initiatives privées mais elles ne sont pas suffisantes – Bisi Silva au Nigéria, Moataz Nasr en Egypte, Doual’art au Cameroun, le Go Down Arts Center au Kenya, la Triennale de Luanda, la Biennale de Lubumbashi, les foires d’art contemporain de Johannesburg et de Marrakech… Toutes ces initiatives vont peut-être contraindre les pouvoirs étatiques à prendre conscience, à terme, de l’enjeu de la bataille. Il n’est pas de pays dit «civilisé» qui n’ait compris que la culture est une arme d’exportation et de rayonnement. Seules les autorités africaines sembleraient ne pas en être conscientes.


Quels types d’espaces endogènes de circulation et d’échanges pourraient être imaginés entre Afrique du Nord et Afrique subsaharienne ?


En Afrique subsaharienne, ça ne circule déjà pas très bien. Dans l’espace marchand, il faudrait que les gens travaillent avec un autre logiciel. Si dans les galeries de Casablanca, on voyait des artistes sud-africains ou camerounais et inversement, les choses évolueraient naturellement. La foire de Marrakech se veut plus intégratrice, celle de Johannesburg devrait l’être davantage. La première exposition dont je me suis occupé dans l’espace de Moataz Nasr (Darb 1718 au Caire) rassemblait des artistes qui traversaient le désert. Il faut simplement que les manifestations soient conçues avec des objectifs plus larges, qui excèdent le cadre géographique.


Pourquoi le jury a-t-il remis le Sovereign African Art Prize à l’artiste marocain Hassan Hajjaj, le prix le plus important pour l’Afrique, d’une dotation de 25 000 $ ?
Parce que j’étais dans le jury…


Mais vous n’étiez pas seul…
Vous ne connaissez pas ma force de conviction ! Hassan s’est retrouvé ex-aequo avec un artiste sud-africain. J’estime qu’il aurait été de très mauvais aloi d’attribuer un prix à un artiste sud-africain au milieu d’une foire en Afrique du Sud avec des candidatures essentiellement sud-africaines. Il me semblait bon de rappeler que l’Afrique ne se limite pas au sud du Sahara et que l’hégémonie sud-africaine a des limites. Et bien sûr, j’aimais le travail de Hassan auquel j’avais commandé des pièces quand Africa Remix s’était arrêtée à Londres. Ce que j’aime chez un artiste contemporain, c’est sa pertinence, son insolence. Voilà pourquoi j’ai défendu Hassan.


Quelles sont les initiatives locales que vous suivez au Maroc ?
Je m’intéresse à  Marrakech Art Fair et à la Biennale, à la résidence d’artistes Dar Al-Ma’mûn. Je suis très curieux de voir les évolutions, aussi de ce qu’il va advenir de la Biennale du Caire. Je m’intéresse aux choses massives, aux gros projets. J’aime les initiatives qui embrassent le monde et qui se frottent à lui. L’Afrique a besoin de moments où elle secoue assez fort le cocotier pour que le monde en prenne conscience. Si l’on fait une manifestation qui fait du bruit à Marrakech, les autorités marocaines vont commencer à s’y intéresser. Si l’on crée un événement qui fonctionne à Alger ou à Dakar, le monde va être invité, revenir et s’apercevoir que nous ne sommes pas des mendiants.


Quel est votre sentiment face aux mouvances nationalistes qui séduisent le marché de l’art ?
Le marché est pervers. Il n’a pas de coup de foudre mais des espoirs d’argent, d’eldorado. Si vous regardez les tendances dont vous parlez, elles sont toutes liées au potentiel des porte-monnaie. On sait que les Chinois ou le Moyen-Orient ont de gros moyens alors on se débrouille pour leur proposer des choses. Pour l’Afrique maghrébine ou l’Afrique noire, il n’y a pas de gros porte-monnaie donc on s’y intéresse moins. Le marché a besoin de cibles. Mais du marché au supermarché, il n’y a qu’un pas. On fait ses rayons, on étiquette, on prépare les têtes de gondole. La chose intéressante serait que les foires organisées en Afrique parviennent à influencer, elles aussi, le marché.


Vous êtes, aux 9e Rencontres de Bamako, commissaire de l’exposition consacrée à la plus importante collection africaine d’art contemporain, celle du Congolais Sindika Dokolo, qui constitua l’ossature du pavillon africain de la 52e Biennale de Venise. Comment s’est constituée cette collection ?
Pour la 52e Biennale de Venise, nous avons montré en quoi l’Afrique, en recevant le monde, était un pivot central dans l’évolution des cultures modernes. Nous avons distribué des passeports à Andy Warhol, Jean-Michel Basquiat, Miquel Barcelo, Alfredo Jaar et Mario Benjamin pour montrer qu’une collection africaine ne s’occupe pas que d’Afrique. Les Africains ont appris l’Autre sans le vouloir. Il n’y a pas un Africain qui puisse se recroqueviller sur une identité particulière. Les Africains portent en eux le questionnement universel. La constitution de la collection se fait dans une triple optique : conserver nos trésors pour ne pas pleurer demain (Tayou, Bidjocka, Nasr, Kenawy, Fatmi), et encourager les artistes dans leurs démarches. Dans le pavillon, un grand nombre d’œuvres ont été produites avant d’être acquises par la collection. Enfin, donner une vision africaine, c’est-à-dire une vision humaniste. C’est une collection de proximité qui ne sera pas vendue aux enchères.
Nous constituons un patrimoine avec des artistes qui sont d’autres nous-mêmes. Avec cette collection, l’idée est vraiment de montrer ce qu’est un artiste contemporain, pas seulement à travers son travail mais aussi à travers ses idées.


De quelle vision justement témoignent les artistes dans votre exposition à Bamako ?
L’exposition parle de l’humain, du corps car dans la plupart des photographies africaines, il y a toujours une présence humaine. Pour chaque photographe, prendre une photographie est une forme d’autoportrait. Lorsqu’un Égyptien photographie un autre Égyptien, il se photographie lui-même. Tout cela revient à une définition endogène de l’Afrique et des Africains par eux-mêmes. La plupart des nations africaines sont jeunes et font le triple pari de réécrire le passé un peu effacé, de vivre dans le présent et de penser l’avenir. La photographie est l’un des médiums permettant sans grandes théories de saisir tout cela. J’ai voulu montrer une Afrique qui, depuis la fin des années 50 jusqu’à nos jours, essaie de se redéfinir elle-même au travers de l’image.


Quels sont vos projets ?
Je viens de finir une monographie sur Zwelethu Mthethwa, photographe d’Afrique du Sud, coéditée par Revue Noire et la Fabrica. Je vais trimbaler mon musée mobile conçu avec l’architecte ghanéen David Adjaye. Prochaine étape au Caire en janvier 2012 à Darb 1718. Je suis en train de travailler à la diffusion de mon projet Samples of Identity, une exposition en trois mouvements regroupant 60 artistes du Maghreb et du Moyen-Orient. Je prépare un livre que j’espère finir avant avril 2012 sur l’état de la France. Entre autres !

 

Propos recueillis par Julie Estéve et Katia Feltrin

x
seisme maroc

La rédaction de diptyk se joint aux nombreuses voix endolories pour présenter toutes ses condoléances aux familles des victimes du séisme qui a frappé notre pays.

Nos pensées les accompagnent dans cette terrible épreuve.

Comme tout geste compte, voici une sélection d'associations ou d'initiatives auxquelles vous pouvez apporter votre soutien :