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Mouna Mekouar : « Art Dubai s’ouvre sur le global south »

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Chaque année, la foire Art Dubai met un coup de projecteur sur dix artistes modernes de la région MENASA.  Pour sa 16e édition, elle a confié le commissariat de cette section Art moderne à Mouna Mekouar et Lorenzo Giusti, qui y présentent une sélection à l’image de Dubaï, multiculturelle. Jusqu’au 5 mars.

Depuis plusieurs années, il y a une redécouverte des modernités extra occidentales. La section moderne de la foire Art Dubaï participe de cet intérêt par les collectionneurs. Quelle idée de la modernité avez-vous voulu mettre en évidence cette année ?

La notion de modernité est complexe. Elle est polysémique, parfois même controversée. Elle n’est donc pas nécessairement pertinente pour la période et la région qui nous intéresse. Car au fond, que veut dire « modernité » quand on évoque des artistes des années 1960 à 198080 du Moyen-Orient, d’Asie du Sud Est ? A-t-on besoin de cette étiquette ou de ce « isme » pour apprécier la qualité de leur travail ? Dans ce contexte, c’est le travail des artistes qui a dicté mon choix. En quoi et comment peuvent-ils être considérés aujourd’hui comme des figures du contemporain ?

Vue de la foire Art Dubai à madinat Jumeirah. Courtesy Art Dubai

Vous mettez en musique dix artistes dont Mona Saudi, Helen Khal, Marwan… Comment les artistes que vous avez choisis renouvellent-ils, dès les années 1960,  le langage plastique ?

Marwan Kassab Bachi, dit Marwan, a étudié à Damas avant de se rendre en Allemagne. Aux côtés de Georg Baselitz qu’il a connu et côtoyé, il a développé un vocabulaire expressionniste. Il faisait partie de ces artistes qui pensent que l’art n’est pas juste une forme ou une représentation, mais un acte moral. Obsédé par le visage, il n’a cessé d’en peindre. Il considérait ces portraits comme des paysages traversés par des émotions et des sentiments. Le regard et les yeux étaient essentiels pour lui. Il cherchait avec ses portraits à pénétrer l’inner self – l’intériorité – d’une personne, de suggérer son intériorité. Il était à ce propos très inspiré par les écrits du soufi Ibn Arabi. Il ne cessera de tendre vers un certain asbolu.

Nous rendons aussi hommage à Mona Saudi qui vient de nous quitter. C’était une artiste puissante, généreuse, inspirée et merveilleusement bienveillante. Jordanienne d’origine, elle s’enfuit à 17 ans au Liban pour vivre sa vocation et étudie à Paris. Elle dialogue avec les poètes comme Mahmoud Darwich et utilise comme principal matériau la pierre. Très rares sont les femmes sculpteurs qui s’engagent dans ce corps à corps avec la pierre. Ses œuvres abstraites, empreintes de musicalité et de spiritualité, sont considérablement inspirée des cultures anciennes, romaines, nabatéennes qu’elle ne cesse de renouveler selon son propre langage.

Nous avons également tenu à montrer Helen Khal. Avec son mari, Yusuf Al-Khal, elle fonde en 1963 la Gallery One, la première galerie du Liban et du monde arabe. Elle sera aussi professeure à l’American University de Beyrouth et critique d’art. Sa peinture qui évoque celle de Rothko est fondée sur la superposition de couches de peinture très fines. Helen n’a jamais souhaité associer à ces peintures abstraites une quelconque connotation symbolique. Elles témoignent de sa quête et de sa passion pour la lumière de la Méditerranée.

Vue interieure de la foire Art Dubai à madinat Jumeirah. Courtesy Art Dubai

Sur les dix artistes choisis, six font de l’abstraction leur langage de prédilection. Est-ce que les artistes modernes, notamment dans le monde arabe, ont fait de la peinture abstraite la condition de leur modernité ?

N’oublions pas que la région MENASA, en particulier le monde arabe, par ses ornementations, décors, miniatures, est riche de signes et de symboles dans lesquels les artistes puisent leur inspiration. À la fois vif et contenu, précis et expressif, souvent aussi inconscient, cet univers visuel et traditionnel a ouvert aux artistes à partir des années 1960 de nouvelles façons d’exprimer. Selon les cultures, les environnements, cette abstraction s’exprime différemment. Il suffit de voir le travail de Rasheed Aareen originaire du Pakistan ou celui de Monir Farmarian pour s’en rendre compte. Rappelons-nous la phrase de Farid Belkahia : « la tradition est le futur de l’homme ».

Vous présentez les photographies de James Barnor qui est Ghanéen, étendant les géographies au-delà du monde arabe. Pourquoi l’avoir intégré à votre sélection ?

Notre sélection témoigne de la diversité des communautés qui existent et cohabitent à Dubaï. Seuls 12 % de la population de Dubaï est émiratie. C’est un monde de métissage culturel avec des communautés indienne, pakistanaise, iraniennes, syrienne, libanaise et palestinienne très présentes et prégnantes. C’est la raison pour laquelle nous avons surtout sélectionné des artistes de la région MESA, c’est-à-dire Middle East et South Asia. Néanmoins, nous avons tenus à faire une exception à cette règle en présentant James Barnor, et un clin d’œil à la Biennale de Sharjah qui rend hommage au commissaire Okwui Enkwezor. Par ailleurs, les communautés d’Afrique de l’Ouest et de l’Est sont de plus en plus présentes à Dubaï.

Est-ce une façon d’ouvrir le Moyen-Orient à l’Afrique ? De créer de nouvelles connexions ?

Oui, effectivement ! Je pense que la foire s’ouvre de plus en plus sur le global south. Le global south, c’est aussi les diasporas présentes aussi bien en Europe qu’en Amérique du Sud ou ailleurs dans le monde. Doit-on désormais parler de la nation ou de villes ?

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