Avec sa saison 2023-2024, « Timeless. Rêveries d’Hier, songes du présent et promesses des lendemains », le MuPho entend redonner une place de choix à la photographie sénégalaise et rappeler le rôle central de Saint-Louis dans l’histoire de la photographie du continent.
« Les Saint-Louisiens ont une fierté et une identité très forte. Ce sont les enfants de Ndar.» Entouré des oeuvres de Mous Lamrabat ou d’Alun Be qui tapissent les murs du Musée de la photographie de Saint-Louis (MuPho), son fondateur, le collectionneur Amadou Diaw, évoque avec tendresse les multiples charmes de sa ville. Natif de Saint-Louis (Ndar en wolof), il connaît mieux que quiconque le potentiel de cette ville côtière, ex-capitale de l’Afrique occidentale française, dont les maisons à balustrade rappellent le faste passé colonial. Une ville-carrefour, longtemps centre de multiples circulations, inextricablement liée à l’aventure de l’Aéropostale, et où résonnent encore les noms de ses légendaires pilotes, Jean Mermoz en tête.
Cette histoire, partagée entre mythes et réalité, émerge à nouveau aujourd’hui avec la lente renaissance de Saint-Louis amorcée depuis les années 2000 et son inscription au patrimoine mondial de l’Unesco. Une renaissance à laquelle le MuPho entend apporter sa pierre avec, depuis son inauguration en 2017, une prolifération de lieux ouverts – aujourd’hui au nombre de neuf – qui quadrillent l’île historique. Ceux-ci, installés dans des bâtisses de style colonial entièrement rénovées, proposent, selon les espaces, un éclairage sur les pionniers de la photographie sénégalaise – Mama Casset et Meïssa Gaye, entre autres –, sur la nouvelle génération ou même sur la peinture sous-verre saint-louisienne, très réputée.
Face au passé colonial et aux légendes auxquelles est souvent réduite Saint-Louis, c’est un autre récit que défend Amadou Diaw à travers le MuPho. Une histoire plus intime, que cet homme d’affaires plutôt discret a lui-même redécouverte un jour en fouillant dans de vieilles malles de la maison familiale, emplies de photos de studio des années 1930. « J’ai toujours été fasciné par les archives », confie-t-il.
Il décèle alors toute la valeur historique mais aussi plastique de cette photographie saint-louisienne, comme celle si spécifique des Xoymet dans lesquelles de futures mariées, en une mise en abyme délicate, se faisaient photographier dans leurs intérieurs tapissés de portraits. On en trouve une allusion à Kër Lahlou, l’un des sites du MuPho autrefois habité par une famille marocaine, preuve du cosmopolitisme de Saint-Louis.
Amy Sarr, Série Awaken My Love, Photographie argentique, tirage pigmentaire sur papier Hahnemühle, 2022
Faire école à Saint-Louis
Pourtant, ce patrimoine photographique reste aujourd’hui encore peu visible à l’international, en partie éclipsé par la photographie malienne qui « a été portée par le marché », reconnaît l’historienne de l’art Giulia Paoletti, présente à l’ouverture de la Saison 2023-2024. Car les débuts de la photographie de studio africaine riment souvent avec Seydou Keita et Malick Sidibé – des artistes longtemps soutenus par le galeriste André Magnin qui a largement assuré leur promotion en Europe et consacrés lors de rétrospectives en 2016 et 2017 à Paris.
Les rencontres de Bamako, aujourd’hui grand-messe de la photographie en Afrique, participent à alimenter cette version de l’histoire de l’art africaine. « C’est plus compliqué que cela », prévient pourtant Giulia Paoletti qui souligne, non sans malice, que « le premier appareil photo de Seydou Keita est acheté par son oncle à Saint-Louis ». Et d’ajouter : « Cela s’explique par le fait que Saint-Louis était un port par lequel arrivaient toutes les technologies et les modes venues de l’étranger avant de se diffuser dans les terres. Saint-Louis a une place centrale dans l’histoire de la photo africaine. »
Badara Preira, Série Appel Layenne, Photographie numérique, Tirage pigmentaire sur papier Hahnemühle, 2023
Cette spécialiste de la photographie sénégalaise se positionne cependant contre les querelles de clochers. « Chercher un centre, cela n’a pas beaucoup de sens. Quand on étudie l’histoire de la photo sur la côte de l’Afrique occidentale, et notamment ses débuts, on se rend compte que les photographes voyageaient d’une ville à l’autre. Meïssa Gaye, considéré comme le père de la photo sénégalaise, a appris son métier au Congo. » Cette géographie étendue, ces circulations d’idées et d’images restent à étudier. « L’histoire de la photographie saint-louisienne, sénégalaise et même africaine est une histoire de la relation et des échanges », conclut-elle. Dans cette visée, le MuPho planche sur la mise en place d’une bourse de recherche pour encourager chercheurs et historiens de l’art à remonter le fil.
Cette volonté d’élargir les horizons se retrouve très présente dans la collection d’oeuvres contemporaines du MuPho avec des tirages de Joana Choumali (Côte d’Ivoire), Laeila Adjovi (Bénin), Mario Macilau (Mozambique) ou David Uzochukwu (Nigéria). Mais ce qui est sans doute le plus prometteur, c’est la projection dans le futur que propose le MuPho avec la volonté de son fondateur de mettre le pied à l’étrier à une nouvelle génération de photographes à Saint-Louis. « Comme il y a eu une école de Dakar en peinture, nous voulons qu’il y ait une école de Saint-Louis en photographie », nous confiait, il y a quelques mois, Amadou Diaw (lire Diptyk n°64).
Deux Saint-Louisienne, une photographie de studio non datée présentée dans l'exposition « Esprits de Saint Louis. Ambiance et Images », Kër Lahlou
Et, si l’on se fie aux propositions des jeunes artistes exposés, cette saison 2023-2024 amorce assurément la dynamique. Certains malaxent cette matière mythico-historique à l’aune de leur modernité, comme la jeune Mamy Fall qui crée des mises en scène oniriques autour de la déesse protectrice de la ville, Mame Coumba Bang. Badara Preira, lui, photographie la confrérie soufie des Layennes en une composition épurée très convaincante, tandis que Massow Ka, alias El Junio, retrace à travers sa série de gares désaffectées l’histoire de l’ancienne ligne de chemin de fer construite en 1883 reliant Dakar à Saint-Louis. « Les bâtiments perdent aussi leur mémoire », dit-il joliment. S’esquisse en filigrane un pan oublié de l’histoire coloniale du Sénégal. « En tant qu’artiste, on doit pouvoir créer les conditions de discussion. Je pose le débat pour qu’ensuite le chercheur puisse s’emparer des choses », assène le jeune artiste.
C’est ainsi que des synergies pourraient se dessiner et positionner Saint-Louis comme un pôle de questionnements autour de la photographie africaine. Penser de nouveaux modèles et former une nouvelle génération, c’est ce qu’ambitionne aujourd’hui le MuPho.
Par Emmanuelle Outtier
Massow Kâ, série Gare Yi, Photographie numérique, 2022
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