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Simon Njami « Le jour où la voix de l’Afrique sera audible à Dakar, New York écoutera »

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Avec ses lunettes noires toujours vissées sur le nez et l'air nonchalant d'un homme très demandé, Simon Njami est un peu une rock star dans le petit monde de l'art contemporain. Nous l'avons rencontré entre deux sollicitations pendant la 1-54 Marrakech. Et nous avons discuté, longuement : « vague africaine », manque de débats en Afrique, biennale de Dakar, Senghor et Césaire, tout y passe. Entretien. 

 

Propos reccueillis par Emmanuelle Outtier

 

Vous êtes venu à Marrakech pour la première édition africaine de la foire 1-54. Les événements et infrastructures culturels se multiplient sur le continent, est-ce le signe qu'un écosystème se met en place pour arrimer à sa terre d'origine cet art africain si convoité à l'étranger ? 

 

Pour le moment, je ne vois pas d'écosystème. Il en existerait un s'il existait un projet. Nous avons beaucoup d'initiatives à très court terme, sans concertation. Chacun ouvre sa structure puis on parle de « vague africaine » alors que ce ne sont que des gouttelettes parce qu'il n'y a pas de réflexion de fond. Si nous voulons créer un écosystème, il faut que les ambitions dépassent les propres satisfactions personnelles. Il faut que l'Afrique se connaisse. Et pour cela, elle ne doit pas réfléchir à une quelconque utopie mais à des paradigmes concrets : comment fabrique-t-on un pot commun pour échanger et construire un discours endogène ? Comment fait-on pour faire advenir la confrontation d'idées qui participe à fabriquer de la pensée ? Et non seulement de belles images… Il y a quelque chose qui fonctionne très bien en Afrique : faites un événement et vous serez assurés d'être à la mode ! Les gens ne regardent pas le fond. Je soutiens toutes ces initiatives bien sûr, mais je suis réservé par rapport à leur « durabilité ». Cela fait partie de cette pensée critique qui manque désespérément à l'appel. Nous mourons de l'absence de débats ! Quels sont-ils aujourd'hui en Afrique ? Quelles sont les deux pensées qui se cognent avec des arguments massifs ? Camus et Sartre s'opposaient… Qu'on se plaigne que l'Afrique n'ait pas voix au chapitre, c'est très joli. Mais ensuite ? Qu'est-ce qu'on active pour que cela se passe ? 

 

Un vide de pensée, donc ? 

 

Cela évolue quand même, bien évidemment. Il y a quelques années, il n'y avait pas de centres d'art en Afrique. Les seuls lieux où on échangeait étaient les centres culturels français ou étrangers. Quand j'ai commencé à faire des expositions, il n'y avait pas un curateur issu du continent auquel un musée aurait confié un projet, ce qui n'est plus le cas aujourd'hui. Mais tout le problème reste que la pensée africaine a été fabriquée de façon exogène, en Europe. Il nous faut un discours propre. Cela va prendre du temps mais il ne faut pas que l'on se trompe dans la méthode ni dans le sujet. Je ne pense pas l'Afrique pour qu'elle soit au Panthéon mais je pense l'Afrique pour qu'elle fonctionne. Qu'est-ce qui est important ? Qu'on entende sa voix à Dakar ou à New York ? Le jour où elle sera audible à Dakar, New York écoutera. L'essentiel est de fabriquer une vision de nous-mêmes qui, ensuite parlera au monde. Arrêtons de nous soucier du regard de l'Autre. Je me souviens d'un atelier de journalisme organisé en Autriche, il y a quelques années. J'avais invité des journalistes du continent. Ils se plaignaient que les journaux européens ne parlent pas de l'Afrique ou de façon stéréotypée, etc. Mais toi dans ton journal à Lagos, est-ce que tu parles de l'Autriche ? Non. Pourquoi voulez-vous qu'ils parlent de vous, vous ne parlez pas d'eux. Je ne vois pas où est le problème. C'est cette dissymétrie consciemment ou inconsciemment entretenue qui est néfaste. L'Afrique se construit encore à travers le regard de l'Europe ou de l'Autre. Tant que cela sera ainsi, cela ne fonctionnera pas. 

 

Construire un discours endogène « sans se tromper dans la méthode ni le sujet », dites-vous. Comment ? 

 

Si nous ne posons pas des questions précises, nous n'aurons pas les réponses adéquates. Et les questions précises se posent à partir du terrain. Si la biennale de Dakar a décollé en 2016, c'est parce que nous nous sommes posé des questions bien définies sur les lieux d'exposition ou sur les stratégies à mettre en place pour qu'il y ait une véritable participation du public. Les grands concepts, post-colonialisme, contemporanéité, etc., tout cela est évanescent. « Une théorie qui n'est pas applicable ne sert à rien », écrivait Gilles Deleuze. Réfléchissons pragmatique. Comment fait-on des musées ? Quels types de musées ? Comment gère-t-on les droits d'auteurs ou les droits de suite ? Cette année, le colloque qui se déroulera pendant la biennale proposera une réflexion sur l'art et le marché, par exemple. Je souhaite que ces rencontres produisent un « guide d'application » concret. » […]

 

L’interview de Simon Njami est à retrouver en intégralité dans le diptyk n°43

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seisme maroc

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