[ VENTE AUX ENCHÈRES ] Que des stars sous le marteau !

Pour son rendez-vous de fin d’année, la CMOOA a mis la main sur des pièces phares de l’histoire de l’art moderne marocain. Une vente aux enchères qui fait circuler la mémoire. 
 

Tous ceux qui, jeunes ou moins jeunes, ont séjourné au Parador de Chefchaouen, un jour torride d’été, se sont amusés à regarder ce panneau de plus de six mètres de long. Souvenez-vous, c’est une fresque envoûtante, psychédélique diraient certains voyageurs éthérés, peuplée d’animaux fantastiques, de personnages perdus dans une végétation luxuriante. Certains surgissent à la fenêtre d’un palais médiéval, d’autres se perdent dans la féérie. Chaque seconde d’attention révèle de nouveaux détails. Si vous n’y avez pas été sensible à Chefchaouen, cette œuvre d’Ahmed Louardiri a quitté les murs du mythique hôtel de la petite cité chaulée du Rif pour être présentée le 19 décembre prochain lors de la vacation de fin d’année de la CMOOA, à Casablanca.  
 

RECORD ATTENDU 
 

Ce Jardin au temps  des Andalous, estimé à environ 2,4 millions de dirhams, certainement peint au début des années 1960 (une légende hôtelière raconte que l’artiste aurait séjourné plus d’un mois dans la chambre 113 du Parador pour peindre, d’une traite, ce panneau monumental), devrait atteindre des sommets si l’on se réfère aux dernières vente. On se souvient notamment de l’extraordinaire coup de marteau réalisé chez Artcurial à Paris en novembre 2014 par une gouache sur panneau de moindre dimension peinte en 1971 (Musique et joie, 73,5 x 119 cm, adjugée plus de 73 000 euros, sur une estimation de 12 000 à 18 000 euros). Le Musée de Bank Al-Maghrib ou la Fondation ONA possèdent des œuvres de cette même facture. 

Même si une vente est avant tout un événement marchand, lorsque des œuvres de ce « pedigree » sont présentées aux enchères, le public peut apprécier lors de l’exposition de renouer avec un pan d’histoire de l’art. Le catalogue produit ainsi un luxe de détails et de documents d’époque, comme ce fascicule introduit par un texte de l’architecte Mourad Benembarek, à qui l’on doit notamment la reconstruction d’Agadir après le séisme et chez qui Louardiri a séjourné à Rabat au début des années 1960 : « A travers la variété infinie du détail, nulle mièvrerie. Les grandes lignes, les grandes structures de la composition se retrouvent restituées soudain par le recul. La recherche plus poussée du détail ajoute à la poésie de l’ensemble mais ne nuit en rien à la puissance de rayonnement de l’œuvre […] Il n’est pas étonnant que Louardiri ait pu puiser avec un tel bonheur dans les sources orales et graphiques de la tradition, les techniques modernes lui demeurant totalement étrangères. » Le même soin a été mis par la maison casablancaise à exhumer trois œuvres d’abstraction géométrique de Jilali Gharbaoui.

AMBIANCE TRÈS SELECT 
 

Autour du million pour l’huile et de 450 000 dirhams pour la gouache, ces estimations sont assez basses mais fidèles aux prix atteints par Gharbaoui lors des précédentes ventes de la CMOOA. Elles restent toutefois modestes au regard des récentes envolées en vente (Cornette de Saint Cyr, octobre 2015) qui ne demandent ici qu’à être confirmées.
Enfin, pour les amateurs d’art brut, le Cycliste de Chaïbia qui avait fait la couverture d’un hors-série du magazine Connaissance des Arts en 2003 confirme l’ambiance très select de cette vente. Cela donne aussi raison aux experts qui ne manquent jamais de faire savoir qu’en contexte de crise, seules les œuvres d’exception se vendent aux enchères. 

CMOOA, Casablanca 19 décembre 2015 

par Meryem Sebti