5 romans graphiques à emporter dans ses valises

(c) Zineb Benjelloun

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Cinq romans graphiques témoignent de situations sociales et politiques, de l’Afrique du Sud à l’Iran, en passant par l’Éthiopie, l’Algérie et le Maroc. Cinq livres qui oscillent entre souci documentaire, satire sociale et méditation poétique. À emporter sans hésitation dans ses valises cet été.

(c) Zineb Benjelloun

Chroniques de la vie familiale de Zineb Benjelloun

Pour son premier roman graphique, Darna, Zineb Benjelloun choisit d’évoquer l’histoire de sa famille sur quatre générations, des années précédant l’Indépendance à aujourd’hui. Centrée d’abord sur les personnages des grands-parents et de leurs enfants, l’histoire dérive peu à peu vers l’auteure et son expérience du retour au Maroc après avoir séjourné en France. Ce livre autobiographique, qui prend le prétexte de décrire la maison familiale construite par le grand-père dans le quartier des Habous de Casablanca, trouve dans la satire sociale sa vitesse de croisière. Zineb Benjelloun passe alors au crible son expérience de journaliste télé dans la zone franche de Tanger ou la difficulté toujours plus kafkaïenne d’obtenir un visa touristique pour la France, qu’elle assimile, non sans ironie, à un jeu de société dont les règles « ne sont pas les mêmes dans les deux sens ». L’humour est constant, notamment lorsqu’elle évoque la vie familiale où « chacun évolue dans des mondes parallèles qui se croisent autour des repas et des séries turques et coréennes doublées en darija ». D’un rythme soutenu, d’un trait dépouillé, d’une liberté de ton rare, ce roman graphique en noir et blanc marche avec brio sur les pas d’une Marjane Satrapi. À suivre !

Zineb Benjelloun, Darna, éditions çà et là, 160 p, 230 DH

L’Afrique du Sud à vif

Auteur du roman graphique Le Pays de Judas, le dessinateur sud-africain Conrad Botes n’est pas un artiste assagi. En témoigne son choix de transposer différents épisodes bibliques, tels que le combat de David contre Goliath, la rivalité fratricide entre Abel et Caïn ou la trahison du Christ par Judas, dans une Afrique du Sud intemporelle où la violence ségrégationniste n’aurait pas entièrement disparu. De courts chapitres relatant des épisodes aussi bien imaginaires que réels – à l’image de la répression sanglante d’une grève de mineurs ayant eu lieu en 2012 dans le village de Marikana –  soulignent la violence endémique de la société. Dans de rares vignettes autobiographiques, l’auteur suggère que la responsabilité en incombe à l’idéologie chrétienne et nationaliste qui a bercé son enfance. Le dessin au crayon noir, qui arrive à faire l’économie de phylactères, rend hommage aux eaux-fortes de Rembrandt et de Goya que l’auteur raconte avoir découvertes lors de ses études d’art. La relecture qu’il fait de la parabole du Bon Berger, qu’il rapproche de la fresque sans titre de Goya, connue sous le nom de Saturne dévorant l’un de ses fils, dit à elle seule l’amertume d’un homme qui semble constater que les ennemis d’hier continuent de se regarder en chiens de faïence.

Conrad Botes, Le Pays de Judas, éditions Cornelius, 120 p, 310 DH

En direct d’Addis-Abeba

Membre de l’Agence France Presse, le journaliste Karim Lebhour revient sur ses deux années passées à Addis-Abeba dans Une saison en Éthiopie : Chinafrique, état d’urgence et macchiato, co écrit avec Vincent Defait. Témoin du miracle économique qui se traduit alors par l’inauguration du premier tramway mis en circulation en Afrique subsaharienne ou la construction du plus grand barrage d’Afrique sur le Nil, à la frontière avec le Soudan, l’auteur nous fait découvrir le rôle joué en coulisses par la Chine, qui diligente la plupart de ces projets. « L’Afrique de l’Est est une porte d’entrée stratégique sur le continent », explique l’un des protagonistes, conférant au livre une dimension géopolitique fort instructive. Mais derrière cet essor économique se cache un pouvoir oligarchique muselant la société et attisant des conflits ethniques qui débouchent sur une guerre civile particulièrement meurtrière. Le dessin de l’illustrateur costaricien Leo Trinidad brille par son classicisme qui renforce la dimension documentaire d’une bande dessinée dont la lecture est incontournable pour qui veut comprendre ce qui se joue dans cette région du monde, parfois délaissée par les médias mainstream.

Karim Lebhour, Vincent Defait, Leo Trinidad, Une saison en Éthiopie : Chinafrique, état d’urgence et macchiato, éditions Steinkis, 183 p., 290 DH

Pénélope, la contrebande et la poésie persane

Traduit du persan, le superbe roman graphique de Mana Neyestani, Les Oiseaux de papier, s’intéresse au sort des kolbars, des porteurs kurdes iraniens risquant leur vie à transporter clandestinement des marchandises en provenance de l’Irak voisin. L’un d’entre eux, Jalal, participe à un convoi qui le mène, en compagnie d’autres hommes, vers un marché frontalier irakien, non loin de Souleymanieh. Ces compagnons de route, parmi lesquels se trouve un enfant de douze ans et un vieillard ayant perdu une jambe lors du conflit entre l’Iran et l’Irak, affrontent la rudesse du climat et les assauts meurtriers de garde-frontières sans pitié. Dans une composition sous forme de montage alterné, l’autrice relate aussi le sort d’une jeune femme, Rojan, amoureuse de Jalal, mais promise par son père à un homme qu’elle n’aime pas. Tout en tissant, à l’image d’une Pénélope kurde, un tapis dont le motif ponctue tel un refrain lugubre le récit, Rojan égrène les souvenirs de ses lectures du Livre des rois du poète persan Ferdowsi ou de poèmes de l’écrivain kurde Sherko Bekas. D’un rythme haletant, laissant place à des vignettes envahissant des pages entières, le livre est empreint d’une mélancolie à fendre l’âme. Notre coup de coeur !

Mana Neyestani, Les Oiseaux de papier, traduit du persan par Massoumeh Lahidji, éditions çà et là, 208 p., 260 DH

Une méditation dans le désert

Un explorateur mystérieux part en plein désert à la recherche des criquets qui menacent notre écosystème. Il est accompagné de son guide touareg, Ahmed, qui ponctue le voyage de récits et de paraboles invitant le lecteur à méditer sur notre perception des catastrophes annoncées et le sens de la vie. S’il s’agit pour l’illustrateur du roman graphique Point Zéro, Kamal Zakour, de rendre hommage à son père qui travailla pendant 35 ans à l’Institut national de protection des végétaux chargé de lutter contre l’invasion des criquets, en Algérie, les nombreuses citations de poètes et penseurs persans ou arabes tels qu’Ibn Arabi, Al Hallaj et Omar Khayyam nous conduisent à méditer sur les vicissitudes de l’existence. Aux prédictions apocalyptiques de fin du monde, le livre scénarisé par Abir Gasmi oppose plutôt la disparition d’un monde qui s’accompagne de la promesse d’un nouveau cycle et de renaissances toujours possibles. Alternant les techniques entre lavis, fusain et des traits plus affirmés à la plume digitale, les vignettes de Kamal Zakour oscillent entre onirisme, fantastique et un souci quasi documentaire qui emporte l’adhésion. Une expérience spirituelle dont la dimension universelle nous a séduits.

Abir Gasmi et Kamal Zakour, Point Zéro, éditions Alifbata, 128 pages, 260 DH.

Olivier Rachet

1 Comment

ein binance Konto er"offnen mars 19, 2024 - 1:59 am

Your point of view caught my eye and was very interesting. Thanks. I have a question for you.

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