Nyaba Léon Ouedraogo, chaman de l’image

Share

Dans sa dernière série, le photographe burkinabé donne forme aux croyances qui entourent Mame Coumba Bang, déesse du fleuve Sénégal et protectrice de la ville de Saint Louis. Une tension mystique entre le voir et le croire. Une réflexion sensible sur la puissance évocatrice du médium photographique. Curatée par notre collègue Marie Moignard, l’exposition de Nyaba Léon Ouedraogo est à découvrir à la galerie Christophe Person à partir du 24 juin.

Farouchement, Nyaba Ouedraogo se définit par ces mots : « je suis un griot des temps modernes ». Un porteur de parole donc, un passeur de cultures. « Dans l’art, la poésie, le beau », précise-t-il, « pour être le plus vrai possible ». Si la vérité est au cœur de ses aspirations d’artiste, et d’être humain certainement, c’est aussi l’un des enjeux de sa nouvelle série : est-il possible de rencontrer Mame Coumba Bang ? Comment la représenter ? Existe-t-elle vraiment ? et finalement, sont-ce vraiment les bonnes questions à poser… Car « la vérité n’est très souvent qu’une seconde manière de redire un mensonge », écrivait Ahmadou Kourouma (« En attendant le vote des bêtes sauvages », 1998).

Nyaba Léon Ouedraogo, Enigme de Mame Coumba Bang, 2022, Tirage fine art baryta, jet d'encre pigmentaire, 70 x 50 cm. ©Nyaba Léon Ouedraogo

Chez Nyaba Ouedraogo, le rapport aux mots est toujours lié à la question du visible et de l’invisible, ce qu’ils dévoilent et ce qu’ils cachent. « Je n’ai pas la chance de savoir, mais j’ai la chance de rencontrer. » Cette phrase de l’artiste dit beaucoup de son appréhension du monde, mais aussi de son processus de création. Selon lui, on ne rencontre une personne que par la parole, en écoutant son histoire.

C’est ce qu’il a fait pour apprendre à connaître Mame Coumba Bang, qui n’est pourtant pas faite de chair et de sang. À défaut de pouvoir s’entretenir avec le divin, il a été chercher sa substance dans la mémoire éparpillée des Saints Louisiens, comme on reconstitue un puzzle avec une matière impalpable, un collage mental à l’image de ces photographies abstraites qui composent en partie cette série. Une façon presque littérale de non-représenter cette figure insaisissable qu’est Mame Coumba Bang.

Nyaba Léon Ouedraogo, La sortie du lion, 2022, Tirage fine art baryta, jet d'encre pigmentaire, 70 x 50 cm. ©Nyaba Léon Ouedraogo

Pour Ouedraogo, les mots sont comme des clés qui ouvrent des portes. Ils se matérialisent dans son œuvre en images codées qu’il faut savoir transcrire. Il considère l’image comme le prolongement du mot, lui permettant de ne jamais se clore, de continuer à signifier, à transmettre, encore et encore. Pour comprendre l’œuvre de Nyaba Ouedraogo, il convient alors de considérer ce que la photographie traduit, et non ce qu’elle montre. Puisque Mame Coumba Bang existe dans les mots de Saint-Louisiens qui la dessinent, Ouedraogo a donc décider de donner forme à cette oralité, patrimoine vivant de l’Afrique. Et comme ses photographies ne montrent pas, elles racontent.

Elles vont même plus loin que notre précédent postulat. Elles n’illustrent pas seulement un mot mais une histoire entière, qu’on ne peut embrasser d’un seul regard. Ouedraogo développe ainsi une esthétique du conte, pétrie de lenteur et de contemplation. Il force le spectateur – exploit notable à l’heure de l’image vite consommée et si peu réfléchie – à s’attarder devant ses photographies, pour tenter de déchiffrer les pistes de récits qu’elles contiennent.

Elles ne se livreront jamais entièrement – tout comme l’esprit évanescent de Mame Coumba Bang – et c’est ce qui fait leur puissance évocatrice, dans le temps long. Dans leur anachronisme aussi, car qui pourrait situer ces images qui semblent hors du temps ? On peut donc dire qu’en quelque sorte, les œuvres de Nyaba Ouedraogo sont éternelles, tout comme le mythe qu’elles accompagnent.

Marie Moignard

Extrait du catalogue de l’exposition « Mame Coumba Bang ».
Nyaba Léon Ouedraogo, « Mame Coumba Bang », du 24 juin au 29 juillet 2023, Galerie Christophe Person – 39 rue des Blancs Manteaux, Paris.
Nyaba Léon Ouedraogo, La continuité des croyances, 2022, Tirage fine art baryta, jet d'encre pigmentaire, 70 x 50 cm. ©Nyaba Léon Ouedraogo
Nyaba Léon Ouedraogo, Tenir, 2022, Tirage fine art baryta, jet d'encre pigmentaire, 50 x 70 cm. ©Nyaba Léon Ouedraogo
Nyaba Léon Ouedraogo, Rituel et territoire, 2022, Tirage fine art baryta, jet d'encre pigmentaire, 70 x 50 cm. ©Nyaba Léon Ouedraogo