Avec « Our Land just like a Dream », le Macaal produit une expo 100% locale

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Le MACAAL inaugurait, le 24 septembre dernier, « Our Land just like a Dream », un solo show consacré à l’artiste malgache Joël Andrianomearisoa. En faisant le choix d’une production 100 % locale, main dans la main avec les artisans de Marrakech, le musée réaffirme son ancrage territorial.

Quel rôle actif un musée comme le MACAAL peut-il jouer dans le tissu social et culturel de Marrakech ? La question est d’autant plus brûlante que la pandémie a laissé la ville exsangue et ses artisans à bout de souffle. Pour Meriem Berrada, sa directrice artistique, « il fallait engager une partie de son modèle économique vers les familles d’artisans ». En produisant une exposition dans son entièreté ou presque, main dans la main, avec eux. C’est de cette préoccupation qu’est née « Our Land just like a Dream », première exposition monographique du MACAAL qui donne carte blanche à Joël Andrianomearisoa. Le binôme se connaît bien : Meriem Berrada exposait l’an dernier, au Musée national de l’histoire de l’immigration à Paris, une des pièces textiles de l’artiste malgache, In memory of all. Elle avait aussi été séduite par le pavillon noir qu’Andrianomearisoa avait présenté en 2019 à la Biennale de Venise pour la toute première participation de Madagascar. Une oeuvre monumentale tout en papier de riz à laquelle l’une des installations à Marrakech fait un subtil clin d’œil.

Cette contrainte du produire local – la seule imposée, se souvient Meriem Berrada – n’en était pas une pour Joël Andrianomearisoa. Bien au contraire. Le plasticien a fait de ses collaborations avec les couturières d’Antananarivo ou les tisseurs d’Aubusson un principe cardinal de sa démarche artistique. Andrianomearisoa aime manier, triturer, ordonner, expérimenter la matière. Ce qui se ressent dans le parcours immersif de « Our Land just like a Dream » où la couleur noire, omniprésente, donne à cette exposition une tonalité mélancolique, sentimentale dirait l’artiste. Andrianomearisoa y distille et y scande sa poésie autour de la thématique de la terre, sa chair et ses transformations. Anatomie du temps/Anatomie de la terre/Just like a dream, susurre ainsi la voix de Hindi Zahra dans la très intimiste installation Hymne à la rose.

Joël Andrianomearisoa pendant son voyage de production au MACAAL en juin 2022. Photo © Ayoub El Bardii

La main qui fait

Dès les premières discussions entre l’artiste et sa commissaire, l’enjeu était de « démontrer que le travail de la main est quelque chose de très important, explique Joël Andrianomearisoa. Parce qu’on fait des oeuvres très grandes et parfois très conceptuelles, on oublie un peu trop, aujourd’hui dans le monde de l’art, cette main qui fait. Au fond, l’art contemporain n’aime pas l’artisanat. Il fallait replacer la forme et la matière comme principe de discussion ». De cette convergence de vues émergent, au fil des quatre résidences effectuées entre août 2021 et juin 2022, un long dialogue et un inventaire des savoir-faire locaux. Verrerie, broderie, vannerie, dinanderie, céramique, toutes les techniques traditionnelles sont minutieusement examinées.

Grâce aux rencontres avec les artisans, l’artiste affine sa connaissance des matériaux. Cerne aussi leurs contraintes. Le doum envisagé un temps est abandonné au profit de la technique du boucharouite donnant forme à un ensemble de tableaux tissés, Litanie des horizons obscurs, qui rappellent étonnamment les motifs du tabouret beldi. « C’est l’une des pièces qui a nécessité le plus d’engagement », confie Andrianomearisoa. Le bichromatisme strict voulu pour cet ensemble noir et blanc défie la part d’accidents propre au boucharouite, qui est tissé à partir de chutes de tissus bigarrées. Les formes de cet artisanat marocain infléchissent parfois le langage plastique de l’artiste, comme lorsqu’il revisite, avec la complicité de la fabrique Beldi Country Club, le verre à thé – soufflé à la bouche – pour en proposer une forme détournée de son usage habituel.

Vue de l’exposition « Our Land just like a Dream ». Photo © Ayoub El Bardii. Courtesy MACAAL

La technique mise au défi

« Plus que le patrimoine artisanal en soi, « Our Land just like a Dream » interroge le geste artisanal », insiste Meriem Berrada. Plus que les formes et motifs traditionnels, c’est le savoir-faire technique et ancestral qui se retrouve au centre de cette exposition. Un patrimoine immatériel mis à la disposition de l’artiste malgache, que celui-ci met aussi au défi. Pour l’installation Hymne à la rose, les dinandiers « sortent de l’ornementation » et de la technique de martelage pour créer des sculptures à part entière. Joël Andrianomearisoa, qui fait de la rose de Marrakech un motif récurrent de son propos, leur a offert une totale liberté, les invitant à interpréter la fleur « selon leur propre perception ».

De même, dans l’installation Et si la main était l’histoire, les brodeuses de la coopérative Assabirates abandonnent le point tarz el fassi pour épouser l’univers minimaliste de l’artiste, composé de traits aléatoires et compulsifs. « La grande subtilité de l’exposition, note Andrianomearisoa, est de sortir de la simple reproduction pour laisser la main de l’artisan s’exprimer. » Une main qui peut donner forme à la pensée de l’artiste tout comme elle peut l’interrompre. Les brodeuses ont, à un moment donné, suspendu la composition qui avait été dessinée par l’artiste « parce qu’elles pensaient qu’il était important de ne pas la charger davantage », nous raconte Meriem Berrada. Ce que Joël Andrianomearisoa a entendu et accepté.

Vue de l’exposition « Our Land just like a Dream ». Photo © Ayoub El Bardii. Courtesy MACAAL

Décloisonner l’artisanat

Cette symphonie à plusieurs voix, enrichie de collaborations avec des artistes invités, transforme le musée en espace de médiation entre les univers cloisonnés de l’art contemporain et de l’artisanat. Amina Benbouchta déploie, avec la tendre ironie qu’on lui connaît, son univers domestique doux-amer, tandis qu’Amina Agueznay confectionne un délicat petit bijou en passementerie qui entre en résonance avec l’une des installations d’Andrianomearisoa. Dans ces conversations se décèlent très vite des affinités, voire une proximité plastique, comme dans la très belle pièce textile d’Alexandre Gourçon qui oppose, en contrepoint aux compositions vaporeuses d’Andrianomearisoa, un plissé volontaire, ordonné.

En opérant un détour par l’oeuvre d’Andrianomearisoa, le MACAAL invite son public à reconsidérer le savoir-faire artisanal local. Un dévoilement qui n’est souvent possible qu’à travers le regard de l’autre, semble-t-il nous dire. La production 100 % marocaine de « Our Land just like a Dream », qui est allée jusqu’à créer localement le papier sur lequel l’artiste malgache décline sa poétique, est aussi une façon d’affirmer clairement que les conditions et compétences de production d’une exposition d’envergure ne sont pas forcément toujours à chercher en dehors du Maroc et plus largement de l’Afrique. Une exposition « sur le territoire, pour le territoire, avec le territoire et produite par le territoire, résume Joël Andrianomearisoa, ça donne une impulsion au continent.»

Emmanuelle Outtier

Joël Andrianomearisoa, « Our Land just like a Dream », Macaal, Marrakech, jusqu’au 16 juillet 2023.