BIENNALE DE DAKAR, 20 ANS ET APRES ?

John Akomfrah, Peripeteia, 2012 copyright de l'artiste et courtesy de la Biennale de Dakar

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Elle règne depuis deux décennies, c'est la plus "courue" des biennales du Continent et elle nous donne rendez-vous dans quelques jours. Moment-clef du calendrier africain, prenons le temps de comprendre ce qui fait la réussite de Dak'art et d'analyser les quelques failles qui lui restent à surmonter…

 

Au Maroc, chaque nouvelle biennale est soumise à une incertitude totale, la dernière vient de s’achever et personne même au sein de son équipe ne saurait dire ou garantir son maintien. Les cartes sont rebattues chaque année. A Dakar, la biennale est une affaire nationale, elle est établie, plus personne ne se demande si elle aura lieu mais essaie plutôt, artistes et publics, de deviner qui y sera…

 

Une certaine solidité qui peut s’expliquer par une généalogie ancienne et une longévité enviable sur le continent. Après une première édition dédiée à la littérature, elle prend sa forme actuelle en 1994 en ne consacrant plus que les arts visuels et défendant un territoire exclusivement africain.

 

Mais on peut se demander pourquoi le Sénégal décide naturellement de devenir la vitrine de la scène continentale et surtout pourquoi, il est l’un des rares pays à tenir le cap contre vents et marées ? Bien sûr le pays jouit d’une situation de leadership culturel local certaine mais comment ? Beaucoup de sénégalais aiment rappeler assez fièrement qu’ils ont été les premiers à élire un président poète… Léopold Sedar Senghor, qui initiera le premier, la tenue de grandes manifestations culturelles sur le continent. Pourtant le Festival mondial des arts nègres qui se tient en 1966, même si une généalogie certaine avec la biennale existe, en est assez loin par sa forme et son contenu. A l’époque il s’agissait de mettre en œuvre la notion de négritude dont seront donc exclus les pays nord-africains et regroupant au contraire des nationalités non africaines, on y retrouvera par exemple Aimé Césaire mais aussi des personnalités afro-américaines comme Duke Ellington ou Joséphine Baker. Ce statement politique connaîtra là son « apogée et sa fin » mais donne le la à une Afrique qui veut pouvoir se penser par elle-même et commencer aussi à se rêver. C’est un instant utile et fondateur. Il permet aujourd’hui à la biennale d’atteindre son âge adulescent, même si 20 ans tout ronds peuvent paraître anecdotiques, Simon Njami rappelle que pour des pays dont la souveraineté a généralement moins de 60 ans, c’est « proportionnellement beaucoup ».

 

Alors même si aujourd’hui, il convient d’être indulgent avec les jeunes personnes, il est toutefois légitime de se poser des questions sur sa nature et son potentiel devenir. L’une des problématiques régulièrement soulevées par les commentateurs concerne son autonomie, car si la volonté d’Etat est un atout enviable, vu d’ici. Il est dans sa concrétisation aussi synonyme de lourdeurs administratives, la mise à disposition des fonds par les ministères est généralement tardive qui pousse les commissaires souvent à travailler dans l’urgence. On se souvient c’était le cas l’an dernier, où pendant la remise des prix, les artistes ont brillé par leur absence, occupés qu’ils étaient à installer leurs pièces avec des moyens assez sommaires. C’était le cas aussi pendant la Biennale du Bénin qui nous avait poussé à crier au miracle. Mais Simon Njami, dément ce cliché du « Miracle africain » : « le miracle c’est des équipes réduites qui travaillent intensément sur le projet jusqu’à la dernière minute… » Pourtant nous persistons à y voir une certaine magie, celle de l’informel et du système D. qui confère dixit Njami un aspect « sympathique et foutraque. » Et on se sent immédiatement chez soi dans cette belle énergie car on est finalement chez nous : à l’aise, détendu et à domicile…

 

Pourtant, on peut toujours mieux faire car « l’art contemporain est une affaire sérieuse, qui n’est pas faite que de fraicheur, mais de pouvoir, de richesse… et j’aimerais que cette biennale soit un lieu de pouvoir. J’aimerais me dire qu’il suffit que j’aille à Dakar pour savoir l’Afrique, où au moins avoir des pistes sur lesquelles creuser » confie Simon Njami

 

Ce qu’on attend donc de cette nouvelle édition c’est qu’elle se lance enfin dans l’inconnu, qu’elle devienne un « laboratoire » pour jouer pleinement ce rôle de leader pour lequel elle est, sur le continent, la mieux placée.

 

L’idée d’autonomisation par une fondation qui réapparaît ponctuellement, ironiset Njami comme un certain « monstre du Loch Ness » est certes une bonne piste mais elle aura du pain sur la planche, notamment réussir à produire une exposition centrale cohérente. Tâche rendue difficile par l’éclatement des choix d’artistes entre plusieurs commissaires, compétents chacun pour une aire géographique donnée… Cela aboutit souvent à des consensus qui peuvent cacher par moment des marchandages internes pas toujours louables. Cette disparité des choix induit parfois un manque de sens dans la conception de l’exposition qui se transforme parfois en catalogue des goûts particuliers de chacun. D’ailleurs qui se souvient du thème de la dernière exposition internationale ? Sans doute personne, et en recherchant dans les différentes archives (catalogue, site web), il semble qu’il n’a jamais existé…

 

Alors qu’espérer de cette nouvelle édition ? Sur le thème et le titre de l’exposition centrale : « Produire du commun », on remarque qu’une fois de plus, les biennales africaines n’arrivent pas à se détacher de certaines revendications dits citoyennes ou militantes. Ainsi le Bénin proposait aux artistes d'inventer le monde et de devenir citoyens, tandis qu’à Marrakech, on leur demandait où ils étaient, maintenant. Des incitations à prendre partie dans la société, de jouer des rôles politiques. Ce n’est pas forcément une mauvaise chose, d’ailleurs les commissaires rappellent que tout acte et politique. Mais on aimerait bien, des fois, comme nous l’avait confié Bisi Silva pendant la biennale du Bénin, que nos artistes nous parlent aussi « d’amour, de sexe… » Ou de nous surprendre sur d’autres terrains de jeu, Simon Njami a montré récemment que c’était possible à Frankfort en invitant les artistes du continent à s’emparer du livre de Dante, la Divine Comédie.

 

Mais ne soyons pas sévères, la liste des artistes annoncée cette année est très belle et prouve une volonté sincère d’étonner en proposant un éclatement des disciplines et des artistes aux pratiques hybridées et difficilement catégorisable […]

 

D’après des entretiens avec Simon Njami, Thérèse Turpin Diatta, Elise Atangana et Abdelkader Damani

 

[…] Retrouvez l'intégralité de cet article dans DIPTYK#23, actuellement en kiosque.

 

Syham Weigant, en direct de Dakar

 

www.biennaledakar.org