Sharjah au creux de la vague

Abdelkader Benchamma, Neither the sky nor the earth, 2017 Courtesy de la Galerie Isabelle Van den Eynde (Dubai) et Galerie du Jour - agnès b (Paris).

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Sous le titre Tamawuj, littéralement « la vague », la biennale est portée par Christine Tohmé, commissaire libanaise, autour de plus de 70 artistes. Une onde qui porte cette année jusqu’à Dakar, Istanbul et Ramallah, brouillée par une programmation qui perd en lisibilité ce qu’elle gagne en espace.

 

L’ancrage de la biennale dans Sharjah e limité, qu’il s’agisse de l’absence d’a ions dans l’espace public ou d’œuvres ayant disséqué la ru ure sociale et archite urale de la ville 

 

 

Tamawuj est une biennale fragmentée, au programme ambitieux, qui se veut le reflet de la liquidité du monde contemporain. Souhaitant inviter plusieurs de ses pairs 

à réfléchir aux notions d’échange et de circulation, la commissaire libanaise Christine Tohmé amplifie la 13e Biennale de Sharjah (SB13) : une seconde  exposition à Beyrouth accueille aussi un événement sur l’alimentation, tandis que Dakar, Istanbul et Ramallah se concentrent, respectivement, sur les thèmes de l’eau, des semences et de la terre. Quatre sujets tout à fait cohérents dans le cadre de Sharjah et pourtant peu explorés dans  les œuvres commissionnées. Plusieurs recherches et discussions théoriques, notamment sur le devenir des institutions, complètent ce dispositif relativement peu lisible pour le public général et plutôt destiné aux acteurs culturels déjà impliqués dans ce réseau. Si la volonté de créer une « structure organique », réminiscente du principe de capillarité, est louable, la proposition ne convainc pas suffisamment car la narration se dilue sur les six espaces d’exposition (Al Mureijah Square, Calligraphy Square, Arts Square, Flying Saucer, l’ancien Planétarium et les nouveaux Al Hamriyah Studios). 

 

 QUESTION DE VALEURS

La sculpture en spirale de Taloi Havini est constituée de répliques de coquillages polis à la main qui servaient de monnaie d’échange dans la région de Bougainville (Papouasie-Nouvelle- Guinée). Beroana (shell money) (2015-2017) fait référence à la perte ou au remplacement de la valeur économique ou symbolique auparavant attribuée à certains objets. Dans la zone artistique de Sharjah, vieux quartier de pêcheurs, les murs sont ainsi tapissés de coraux, un ancien indicateur de prospérité qui fait à présent partie du décorum touristique. La conception de richesse variant selon les contextes et périodes, Christodoulos Panayiotou se penche justement sur les liens entre consommation, désir et séduction dans les pays du Golfe avec Untitled (2017), une série de pierres serties d’or, conservées dans des écrins qu’un performer dévoile précieusement au public. En créant de la distance, ces gestes augmentent la valeur de ces pièces luxueuses, d’ailleurs vendues dans une bijouterie du Gold Souk de Sharjah.
La consommation de ressources naturelles et notre rapport à l’écologie sont aussi abordés. Dans sa bande dessinée All Quiet in Vikaspuri (2015), Sarnath Banerjee imagine une guerre de l’eau à New Delhi où des milices s’affronteraient  pour le contrôle des ressources restantes. Un scénario peut-être pas si éloigné de notre futur ? De même, dans Who Carries the Water (2015-2017), préoccupées par la question de l’accès à l’eau lorsque investissements et intérêts économiques sont en jeu, Fatma Belkıs et Iz Öztat relaient les luttes de communautés dont le libre usage de l’eau est menacé par le développement de barrages en Anatolie. 

 

MAN VS WILD

Le paradoxe de la relation symbiotique, mais conflictuelle et brutale, qu’entretient l’homme avec la nature est mise en évidence dans la vidéo troublante O Peixe (2016) de Jonathas de Andrade. Des pêcheurs y embrassent leur proie jusqu’à son dernier souffle, accompagnant le poisson dans sa mort. Un acte entre violence et beauté, domination et tendresse. Pour aborder les questions environnementales, d’autres œuvres font le pari de l’expérience auditive immersive. Rustle 2.0 (2016) d’Em’kal Eyongakpa nous plonge dans le paysage sonore des bassins du Congo et de l’Amazonie. Ses enregistrements témoignent d’une forte présence humaine (scies, bruits de construction) qui bouleverse l’écosystème local. Uriel Orlow, lui, invite à découvrir les noms de plantes d’Afrique du Sud dans diverses langues comme le xhosa, le zoulou ou le khoï, dans sa sculpture sonore What Plants Were Called Before They Had a Name (2016), rappelant que l’imposition de la taxonomie latine a effacé une grande partie du savoir indigène de nombreux pays.
En définitive, malgré une politique pédagogique engagée en faveur des enfants et étudiants, l’ancrage de la biennale dans Sharjah est limité, qu’il s’agisse de l’absence d’actions dans l’espace public ou d’œuvres ayant disséqué la structure sociale et architecturale de la ville pour en comprendre le fonctionnement au-delà de la surface visible. Quelques œuvres se démarquent néanmoins, éclairant l’ensemble et disant combien les réseaux, la simultanéité et la pluralité des expériences que nous vivons ne font sens que s’ils restent fortement ancrés dans l’humain et dans des actions simples. Le dessin mural Neither the sky nor the earth (2017) d’Abdelkader Benchamma, qui aborde la grotte comme métaphore de profondeur et archétype de transformation intérieure, physique et géologique, propose de se recentrer. De cet espace méditatif hors du monde, sans temporalité, les strates de matière sont parcourues d’un flux qui peut faire émerger de nouvelles choses. 

 

 

 

«Tamawuj», Biennale de Sharjah, jusqu’au 12 juin 2017.

Taloi Havini, Beroana (shell money), 2015-2017 Courtesy de l’artiste et Andrew Baker Art Dealer, Bowen Hills, Australia