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[Expo] Mais qui était Abbès Saladi ?

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C’est à une relecture saisissante de l’œuvre d’Abbès Saladi que nous invite la rétrospective qui lui est consacrée à Rabat. D’un univers fantasmagorique à l’expression d’une âme tourmentée, le parcours d’exposition livre les clés d’une peinture plus subversive qu’il n’y paraît. 

Une œuvre de Saladi est reconnaissable au premier coup d’œil. La rétrospective que lui consacre aujourd’hui le Musée de Bank-Al-Maghrib ravira les inconditionnels du peintre marrakchi. Pour son attention portée au détail dans la pure tradition des miniatures persanes et arabes. Pour ses personnages dessinés à l’égyptienne, le corps de face et le visage de profil. Pour son bestiaire regorgeant de créatures hybrides représentées dans une végétation luxuriante et sur fond d’architecture arabo-musulmane aisément identifiable. Dans ses peintures à l’aquarelle ou à l’encre de Chine, Saladi donne forme à une fantasmagorie toute personnelle dont les symboles peuvent nous paraître familiers, mais dont la compréhension nous échappe ; à l’image peut-être de ce que furent les hiéroglyphes égyptiens avant la découverte de la pierre de Rosette.

Abbès Saladi, Sans titre, 1979, Technique mixte sur papier, 48 x 67 cm. Collection particulière.

Voir l’invisible

Dans un syncrétisme que l’exposition et le catalogue qui l’accompagne explicitent avec bonheur, le peintre entremêle des références empruntées aussi bien à l’iconographie religieuse qu’à des contes et légendes populaires, joyaux du patrimoine immatériel de la place Jemaâ el-Fna. Le serpent de la Genèse y côtoie Al-Buraq, des créatures mi anges mi démons frayent avec de superbes animaux ailés. La clé de cet univers étrange et fantastique nous est peut-être donnée par Jean-François Clément qui, dans un texte intitulé « L’homme qui a vu les jnûn », explique le « séisme culturel » que représente dans l’iconographie marocaine le fait de représenter ces créatures invisibles, reconnaissables selon lui à leur couleur de peau bleue ou verte.

Abbès Saladi, Sans titre, 1979, Technique mixte sur papier, 13,5 x 13,5 cm. Collection particulière Emmanuelle Amzallag.

Un combat intérieur

Pour autant, on n’occultera pas l’intérêt que suscita, notamment auprès des psychanalystes, une peinture présentée souvent comme tourmentée. Il ne fait nul doute que Saladi mène aussi une lutte acharnée contre ses propres démons. Dans une vidéo essentielle, Abdelhaï Diouiri attire notre attention sur une planche inédite à l’encre coranique dans laquelle le peintre se représente une épée à la main, livrant un combat à des créatures démoniaques qui l’assaillent. Ailleurs, c’est une profusion de mauvais œil qui semble prendre possession du papier. Sans doute l’artiste sera-t-il resté tiraillé entre des représentations culturelles et mentales irréconciliables dont il arrive peut-être à s’affranchir à travers le motif de la nudité des corps et une image renouvelée du Paradis. À l’image de cette aquarelle de 1991 « Vision paradisiaque » dans laquelle jnûn, humains et végétation semblent comme réconciliés.

Olivier Rachet

Rétrospective Saladi, Musée de Bank-Al-Maghrib, Rabat, jusqu’au 30 juin 2021. 

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