Printemps 1960. Alors qu’il est tout fraîchement diplômé de l’École des Métiers d’Art de Paris, le peintre Ahmed Cherkaoui obtient une bourse dans le cadre des échanges culturels entre le Maroc et la Pologne. D’octobre 1960 à juillet 1961, il passera presque un an à l’Académie des Beaux-Arts de Varsovie, dirigée alors par Henryk Tomaszewski. Il a néanmoins un illustre prédécesseur en la personne de Farid Belkahia, invité en 1955 à représenter le Maroc à la 5e édition du Festival mondial de la jeunesse à Varsovie. Ce dernier hésite alors à devenir athlète, comme nous le raconte l’historien de l’art Przemysław Strożek, qui a conçu avec Sara Lagnaoui l’exposition “Ahmed Cherkaoui à Varsovie. Les relations artistiques polono-marocaines 1955-1980” à la Galerie Zachęta. C’est également dans cette galerie qu’étaient exposées en 1955 les œuvres de Belkahia qui «rêve alors d’égaler le destin de l’athlète tchécoslovaque Emil Zátopek », précise le curateur, ajoutant qu’il est fort probable que cela accélère sa décision d’aller étudier en Tchécoslovaquie, à partir de 1959.
Que découvrent alors nos jeunes artistes marocains tout droit débarqués de leur pays natal ? Si l’on en croit Anna Draus-Hafid, épouse du peintre Mustapha Hafid qui a étudié à l’Académie des Beaux-Arts de Varsovie de 1961 à 1968, règne alors une effervescence intellectuelle et artistique rare. «Un véritable âge d’or », résume-t-elle, en énumérant une liste vertigineuse d’opéras, de films ou de pièces de théâtre qui se donnaient alors : Verdi, Puccini, les ballets russes, mais aussi Beckett, Shakespeare, Gombrowicz… sans oublier Bergman, Fellini, Buñuel. Varsovie est une fête, comme l’était Paris pendant l’entre-deux guerres.