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Le collectionneur d’art congolais Sindika Dokolo est décédé

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Le célèbre collectionneur est décédé le 29 octobre à Dubaï, à l’âge de 48 ans. Homme d’affaires et époux d’Isabel Dos Santos – la fille de l’ex-président angolais – Sindika Dokolo est connu pour ses prises de positions médiatiques sur la restitution des œuvres d’art africaines. Il s’était aussi érigé en opposant de Joseph Kabila lors des dernières élections présidentielles en République Démocratique du Congo, son pays natal. Depuis la publication des « Luanda Leaks » qui accusaient son couple de détournements de fonds, le collectionneur se faisait plus discret. L’an dernier, il a toutefois curaté avec l’artiste Kendell Geers, l’exposition « Incar-Nations » au palais des Beaux-Arts de Bruxelles (BOZAR).

Nous l’avions rencontré en décembre 2019. Nous republions aujourd’hui l’entretien « collectionneur » dans lequel il partageait sa passion pour sa collection et pour les arts classiques africains.

Combien d’œuvres compte votre collection ?

C’est très difficile à déterminer, et ce pour deux raisons. Tout d’abord parce que je ne compte pas, je n’ai jamais fait l’effort de compter, et deuxièmement parce que certaines pièces de ma collection ne sont pas forcément considérées comme des œuvres d’art. Toujours est-il que dans la partie art classique, je compte au moins une cinquantaine d’œuvres, avec la particularité d’essayer de collectionner des chefs d’œuvres. Dans la partie contemporaine, j’essaie d’être représentatif d’un certain esprit, d’une certaine époque, comme le mouvement des Black Panthers aux USA dont l’artiste Hank Willis Honest.

L’esthétique de la politique m’intéresse beaucoup de manière générale. Comme l’Afrique du Sud à l’époque de la Rainbow Nation avec des artistes importants comme Kendell Geers, Minnette Vari ou William Kentridge dont j’ai 11 ou 12 vidéos. Je dois être l’un des collectionneurs qui a le plus de vidéos de lui. Je me suis aussi intéressé aux femmes pendant et après les printemps arabes, comme une artiste que j’aime énormément, Ghada Amer. J’ai quelques tableaux d’elle avec des scènes sexuelles et des femmes qui se masturbent, mais j’aime beaucoup aussi son travail sur les jardins, car c’est esthétique et profond à la fois.

crédit photo : Sindika Dokolo Foundation

Quelle en est la ligne directrice ?

Cette collection est une recherche identitaire. L’une de mes premières expériences avec l’art africain a été de me retrouver nez à nez avec un Basquiat. Cela relevait de l’atavisme, comme un coup de poing, qui m’a permis de renouer avec une mémoire enfouie. Il avait une résonance parfaite, et en même temps quelque chose de déchiré, ce que Picasso appelait « l’art d’exorcisme ». Une œuvre d’art qui vous regarde à son tour jusqu’au plus profond de votre âme. C’est ce sentiment que je recherche face à une œuvre : une aventure intérieure. L’art qui m’intéresse est toujours le point de départ d’un questionnement philosophique.

Avez-vous un médium de prédilection ?

Je sens que je vais revenir vers la peinture, qui représente pour l’instant une proportion assez faible de ma collection. J’ai produit beaucoup de performances et acheté beaucoup de vidéos car cela m’intéressait d’être sur la brèche. Avec ces deux disciplines, on touche aux contradictions internes du monde de l’art, qui est de mettre systématiquement un prix sur quelque chose, ce qui influence profondément la façon dont on fait de l’art. Alors que toute l’idée de l’art africain est que l’artiste est un médium entre le monde visible et invisible. Le point de vue du spectateur doit être de l’intérieur, comme partie prenante de cette performance et de cette mascarade.

Depuis combien de temps collectionnez-vous ?

Depuis que je suis tout jeune, 12 ou 14 ans, et plus sérieusement depuis mes 30 ans. Sachant que j’ai 48 ans, l’on peut dire que je suis un « vieux collectionneur ».

Vue de l’exposition «IncarNations» au musée Bozar de Bruxelles, du 28 juin au 6 octobre 2019. Photo © Philippe de Gobert

Où conservez-vous votre collection ?

Il y en a chez moi mais relativement peu, déjà parce que j’en ai beaucoup, mais aussi parce que
Ma collection est dispersée entre Bruxelles, Lisbonne et Kinshasa. Il y en a chez moi mais relativement peu, parce que j’ai beaucoup d’œuvres. Je conserve l’art classique chez moi, comme un accumulateur compulsif, ce qui me cause beaucoup de problèmes avec ma femme, mais pour ce qui est de l’art contemporain, pratiquement pas. J’ai un problème avec l’art contemporain, car je trouve que tout ce que je collectionne ne devrait pas être « décoratif ». Dans ce sens, j’ai du mal à l’envisager dans mon intérieur.

 

Quel genre de collectionneur êtes-vous ?

À certains moments je suis très réfléchi, par exemple lorsque je construis un pan de ma collection, comme celui des artistes actuels nord-américains. J’ai aussi des moments de coups de cœur, mais plutôt dans l’art classique, car par définition les artistes sont morts donc il y a une quantité d’œuvres limitée. Je suis un collectionneur très consciencieux, qui fait un gros travail de recherche.

Quelle est la première œuvre que vous ayez achetée et dans quel contexte ?

Plus jeune, je collectionnais des armes africaines. J’étais aux puces de Saint-Ouen avec un grand collectionneur qui était un ami de mon père, et j’ai essayé toute la journée de trouver un objet qui ne soit pas faux. J’ai acheté un couteau Bamiléké de la région du Grassland au Cameroun. Qui s’est évidemment avéré être un faux.

Et la dernière en date ?

J’ai trouvé un masque du royaume Kouba datant du XIXe siècle et qui a appartenu au musée de Kinshasa. Comme je fais beau- coup de travail sur le rapatriement, j’ai décidé de l’offrir au nouveau Musée National de la République démocratique du Congo (inauguré en novembre 2019, ndlr).

Vue de l’exposition «IncarNations» au musée Bozar de Bruxelles, du 28 juin au 6 octobre 2019. Photo © Philippe de Gobert

Qu’est-ce qui vous intéresse dans l’art contemporain africain ?

L’art contemporain est un prétexte pour découvrir le propre de l’art africain, comme par exemple le peintre espagnol Miquel Barcelo, peut-être parce qu’il a travaillé en pays Dogon. Il a quelque chose de brut, de vrai, avec un rythme que je trouve très africain. Ce qui m’a toujours intéressé, c’est de dégager un point de vue africain sur le monde plutôt qu’un regard sur l’Afrique. C’est pour cela que dans le premier pavillon de l’art africain à Venise en 2007, beaucoup d’artistes n’étaient pas africains. Car quand on pose la question de l’art africain, cela peut avoir un côté anecdotique, comme on dirait « je suis philatéliste ».

Quels sont les jeunes artistes que vous suivez de près ?

Binelde Hyrcan, qui est angolais. Je suis son travail depuis longtemps et il est vraiment excellent. J’aime aussi le Congo- lais Sammy Baloji et en performance l’excellent Nástio Mos- quito. Ce sont mes trois chouchous.

Quel a été votre coup de génie ?

William Kentridge, car on ne savait pas à l’époque, en 2004- 2005, qu’il deviendrait aussi grand. J’ai eu aussi parfois beau- coup de chance aux enchères, comme pour un petit appui nuque Kouba dans une vente à Christie’s. Deux fous se sont battus avant sur une tête Fân, ils ont pratiquement rajouté un zéro à l’estimation. Mon lot passait juste derrière. Il y a eu un creux dans la salle, tout le monde avait le cœur dans la bouche, et je l’ai quasiment volé.

Vue de l’exposition «IncarNations» au musée Bozar de Bruxelles, du 28 juin au 6 octobre 2019. Photo © Philippe de Gobert

Quelle est l’œuvre que vous regrettez de ne pas avoir acquise ?

Celle que j’aurais vraiment regrettée, je l’ai finalement achetée. Il s’agit du masque Kwélé Gon du Gabon. C’était vraiment trop cher et j’ai dit non. Dix jours plus tard, j’ai rappelé le marchand qui négociait avec la veuve pour lui dire à quel point j’étais satisfait de ne pas l’avoir acheté. Et à la fin de la conversation, j’ai fini par l’acheter. Il attendait dix minutes plus tard la confirmation d’un autre acheteur.

Si vous deviez vous séparer de votre collection et ne garder qu’une œuvre, laquelle serait-ce ?

Le masque Kwele Gon. Par orgueil, parce que c’est un des plus beaux objets de ce type, mais aussi parce qu’il incarne tout ce qui me touche dans l’art africain. Ce n’est pas la reproduction d’un visage de gorille, c’est la mise en objet de l’esprit gorille. L’œuvre d’art n’est d’ailleurs pas le masque mais la perfor- mance, cela me rappelle à quel point je suis loin de la vérité et que j’ai du chemin à parcourir.

 

Propos recueillis par Marie Moignard – publiés dans Diptyk #51 (décembre 2019 – janvier 2020).

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