Dans sa série Les Absents, le jeune Ziad Naitaddi photographie les paysages silencieux du Haut-Atlas qui gardent la trace de ceux partis chercher une vie meilleure ailleurs.
Au commencement, un rêve de cinéma. Ziad Naitaddi découvre, par l’entremise de Fouad, un vendeur de DVD de la médina de Rabat, le septième art. Bergman, Antonioni, Angelopoulos, Tarkovski, mais surtout le réalisateur turc Nuri Bilge Ceylan dont les plans larges et d’une extrême lenteur le fascinent. C’est en observant les paysages d’Uzak ou de Winter Sleep que le jeune homme originaire de Salé commence « à comprendre la couleur de l’espace qui [l’] entoure. J’ai saisi alors, explique-t-il, la distance qui me séparait du paysage. »
Par manque de moyens, il délaisse son désir d’étudier le cinéma et se tourne vers la photographie. Il est alors repéré par Laïla Hida de l’espace Le 18 à Marrakech qui lui offre en 2016 la possibilité de participer à la manifestation Dabaphoto. Il y présente son premier projet rebaptisé depuis Untitled Morocco où il met déjà en scène, dans des paysages épurés et le plus souvent plongés dans le brouillard, la solitude de ses contemporains.
Ziad Naitaddi, Les Absents, 150 x 100 cm, impression numérique, jet d’encre pigmentaire,
Un Projet soutenu par le Programme SMArt en partenariat avec Dar Al-Mussawir (Beyrouth) et l’École Supérieure d’Arts Visuels de l’ÉSAV (Marrakech), Aguerd, Haut-Atlas, Maroc, 2019
Un voyage intérieur
Les résidences s’enchaînent alors à un rythme effréné. Du Centre d’art contemporain photographique de la Villa Pérochon à Niort à Darat Al-Funun en Jordanie, en passant par Dar Al-Mussawir au Liban où il se lance, dans le cadre du SMArt Exchange & Residency Programme 2017-2019, dans une série consacrée à la migration. Trois mois de résidence à Beyrouth que prolongera un séjour dans le Haut-Atlas marocain au cours duquel il poursuivra sa recherche photographique. De ce parcours d’amateur passionné et d’autodidacte éclairé, il tire la conviction qu’embrasser une carrière artistique relève de l’épreuve : « Je ne pense pas que l’artiste doive être un fonctionnaire d’État, reconnaît-il. La création s’impose toujours incompréhensiblement à nous. »
Ziad Naitaddi, Les Absents, 150 x 100 cm, impression numérique, jet d’encre pigmentaire,
Un Projet soutenu par le Programme SMArt en partenariat avec Dar Al-Mussawir (Beyrouth) et l’École Supérieure d’Arts Visuels de l’ÉSAV (Marrakech), Aguerd, Haut-Atlas, Maroc, 2019
Sa participation en 2018 à la Biennale de Dakar forgera sa conviction que l’art photographique n’est pas seulement une question de technique, mais qu’il s’arrime surtout « à une expérience intellectuelle et sensible ». En voulant documenter la migration dans la région du Haut-Atlas, il dit avoir voulu se mettre « au service des absents », de ceux qui ont quitté leur village à la recherche d’un monde meilleur. Son défi sera de réaliser un portrait en creux de ces absents, en photographiant les paysages tant de fois scrutés par eux. Le voyage est aussi intérieur ; Naitaddi adopte le point de vue des migrants qu’il était venu rencontrer et qu’il ne vit pas, mais dont ces paysages silencieux gardent la mémoire vive. Le noir et blanc lui permet « d’aller directement vers l’indicible et le ressenti, là où la couleur disperse trop l’attention ».
Ziad Naitaddi, Les Absents, 150 x 100 cm, impression numérique, jet d’encre pigmentaire,
Un Projet soutenu par le Programme SMArt en partenariat avec Dar Al-Mussawir (Beyrouth) et l’École Supérieure d’Arts Visuels de l’ÉSAV (Marrakech), Aguerd, Haut-Atlas, Maroc, 2019
Paysages dans le brouillard
Ce sont alors des paysages dépeuplés qui nous contemplent, dans des cadrages souvent resserrés. Des pans de montagne qui donnent l’impression de s’effondrer. Des natures arides plongées dans un brouillard des plus sombres. Ici, un arbre comme calciné. Là, un minaret trônant seul sans véritable raison d’être. Parfois un fil électrique traverse le cadre, mais il ne semble mener nulle part. Une ampoule électrique se reflète à l’intérieur d’une fenêtre ou demeure absurdement suspendue, mais elle n’éclaire plus rien : « ce qui illumine la scène, ce n’est plus l’ampoule, mais la nature », commente le photographe. La désolation règne en maître, le sentiment d’abandon est total. Cette photographie déchirante, à la tonalité implicitement politique, séduit – Ziad reçoit en 2017 le Prix du Jury lors des Nuits photographiques d’Essaouira –, mais elle est sans espoir. Sans doute cette obscurité n’est-elle que l’autre face visible d’un pays à la lumière éclatante que beaucoup continuent pourtant de vouloir déserter.
Olivier Rachet
Résidence de Ziad Naitaddi à l’Espace d’art Le Cube-Independent art room, de mi-janvier à fin juin 2021, autour du projet III. Interlude. Withered Green-Thrived Red.
Ziad Naitaddi, Les Absents, 70 x 105 cm, impression numérique, jet d’encre pigmentaire,
Un Projet soutenu par le Programme SMArt en partenariat avec Dar Al-Mussawir (Beyrouth) et l’École Supérieure d’Arts Visuels de l’ÉSAV (Marrakech), Aguerd, Haut-Atlas, Maroc, 2019
Ziad Naitaddi, Les Absents, 150 x 100 cm, impression numérique, jet d’encre pigmentaire,
Un Projet soutenu par le Programme SMArt en partenariat avec Dar Al-Mussawir (Beyrouth) et l’École Supérieure d’Arts Visuels de l’ÉSAV (Marrakech), Aguerd, Haut-Atlas, Maroc, 2019
Ziad Naitaddi, Les Absents, 150 x 100 cm, impression numérique, jet d’encre pigmentaire,
Un Projet soutenu par le Programme SMArt en partenariat avec Dar Al-Mussawir (Beyrouth) et l’École Supérieure d’Arts Visuels de l’ÉSAV (Marrakech), Aguerd, Haut-Atlas, Maroc, 2019
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