
Il y a dans le médium photographique une puissance réminiscente, peut-être même incantatoire, qui se prête comme nulle autre à ces odyssées intimes qu’on entreprend un jour, en quête de soi. C’est ce pouvoir de remembrance que la photographe franco-marocaine dompte dans sa très sensible série Traverser, alternant paysage minéral du sud du Maroc et immensité bleutée de cette Méditerranée qui la sépare de ses souvenirs d’enfance. Des étendues hermétiques sur lesquelles Saboni appose son sens en y gravant ses propres mots, car la photographe est aussi poétesse. Elle écrit : « Il faut disparaître complètement pour apparaître de nouveau. Il faut tout abandonner. Et tout traverser. Abandonner. Seul le bruit des vagues qui ricoche contre les parois. Traverser. Il y a la terre silencieuse. Il y a cette lumière éblouissante. Et le sang dans nos veines. Rien n’est oublié. »
Patiemment, elle grave donc ses vers en arabe, langue des origines qu’elle ne connaît pas mais reproduit sur le papier tel un rituel magique, nous partageant un journal intime impossible à déchiffrer comme l’est sans doute le passé à jamais disparu. Le souvenir, l’exil, l’inaccessible sont au coeur des oeuvres présentées aujourd’hui à la Galerie 127. Dans son dernier projet, L’attente de la nuit, Saboni capture depuis la Jordanie les silhouettes lointaines des montagnes palestiniennes. L’horizon s’efface dans les couleurs cristallines du matin d’où apparaît le chant d’un amour impossible, la douce complainte d’une femme à son amant, embossée sur les cimes enneigées. On aime.
Emmanuelle Outtier