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À Rabat, l’insolente puissance de la photographie

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Entre tentatives expérimentales et propositions poétiques des plus poignantes, “Femmes photographes” présente le travail de 24 artistes qui s’emparent avec brio du médium photographique. Une exposition qui n’hésite pas à bousculer les attentes.

La date d’inauguration de l’exposition « Femmes photographes », celle du 8 mars dédiée aux droits des femmes, ne doit pas faire illusion. Loin de chercher à rendre hommage aux artistes femmes, l’exposition curatée par Sofiane Errahoui, conservateur au Musée national de la photographie, entend plutôt marcher sur les pas d’Abdelkader Damani, commissaire de la première édition de la Biennale de Rabat. « Comme le disait Damani, reconnaît Sofiane Errahoui, il nous faut pour définir les urgences d’un moment de création s’acquitter de ses dettes. Et notre dette est fondamentalement à l’égard des femmes. » L’ambition est alors, à travers les travaux bien connus de Yasmina Bouziane ou de Lalla Essaydi, d’adopter un point de vue féminin sur des codes de représentation essentiellement masculins liés à l’histoire coloniale. « Les femmes ont été pendant longtemps les victimes de l’assignation du regard du colonisateur », commente le curateur, en attirant l’attention sur les « anti-portraits » de Yasmina Bouziane dont les modèles fixent le regard du spectateur, dans un geste volontairement provocateur. Histoire de contourner l’impératif de célébration lié à la journée du 8 mars, l’artiste Khadija El Abyad choisit de son côté de ne pas accrocher son œuvre qui trône sur le sol, recouverte d’un immense voile, histoire de souligner que la lutte pour l’émancipation reste un chantier toujours ouvert.

©Khadija El Abyad

Expérimentations photographiques

« La photo conceptuelle et expérimentale n’est jamais mise en avant, regrette Sofiane Errahoui. Or, aujourd’hui, la photo n’est plus seulement un support mais un médium offrant de larges possibilités créatrices. » Et d’inviter des artistes qui « investissent dans le potentiel narratif de la photographie », sans être forcément photographes. Là réside sans doute l’intuition fondamentale de cette exposition qui n’hésite pas à bousculer les attentes du spectateur. En témoignent l’installation d’Amina Benbouchta relative à la thématique de l’enfermement domestique ou les œuvres produites in situ par Hasnae El Ouarga mêlant collages, écritures et cyanotypes dans un geste volontairement déstabilisant. Si elles paraissent moins déconcertantes, les interventions plastiques de Rita Alaoui ou de Yasmina Alaoui, recourant respectivement à la peinture ou à l’utilisation de henné, soulignent bien ce goût partagé de l’expérimentation repoussant les frontières de la représentation photographique.

Courtesy of Hind Moumou

Mais sans doute est-ce l’univers mélancolique et romantique à souhait de jeunes artistes telles que Salima Hamrini, Hind Moumou ou Nawar Nasseh qui au final retient l’attention, et ce en dépit de tirages dont la qualité dessert parfois le travail. Ces artistes qui, selon le curateur, « investissent dans le potentiel poétique de l’image », s’attachent à représenter, à travers l’art du portrait ou une prédilection pour les paysages à l’abandon, un sentiment de solitude et de dévastation saisissant. Excellent contrepoint aux photographies tout empreintes de nostalgie de Aassmaa Akhannouch dans son projet La maison qui m’habite encore ou dans la série Amarcord de Yasmine Hatimi, ces travaux sont l’expression d’un exil intérieur et d’un état de dépossession qui n’est pas sans évoquer la façon dont la photographe Imane Djamil relate, à travers les paysages ensablés de la région de Tarfaya, des blessures que l’on imagine plus intimes. Là n’est pas le moindre intérêt de cette exposition que de nous montrer la vivacité d’une scène photographique, tout en nous brossant le portrait d’une génération désenchantée. En concluant avec la vidéo de Lamia Naji, Omnia Vincit Amor, réalisée à partir de 4 photographies prises dans la nature à différentes saisons, le parcours laisse néanmoins affleurer une note d’optimisme qui finit par emporter totalement notre adhésion.

Olivier Rachet

Exposition « Femmes photographes », Musée national de la photographie, Rabat, jusqu’au 8 juin 2022.

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