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Ainsi parlait le Livre Vert

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Huit ans après la mort de Mouammar Kadhafi, la jeune scène artistique libyenne revisite, à Rabat, l’un des symboles les plus marquants du régime despotique : le Livre Vert. Erigé en vérité absolue, le « chef d’œuvre » du Guide a eu de terribles effets socio-politiques. Relecture audacieuse d’une histoire douloureuse.

Sarri Elfaitouri, Kusksu school of war for girls, collage issu de la série Re-reading Libya, 2018.
Rawand Haress, Dahia, vidéo couleur, 4min26, 2018.

Le posséder expose toujours à des représailles en Libye. Opuscule sacré pendant près de quarante ans, le Livre Vert de Mouammar Kadhafi est au centre de l’exposition « The Green Book », curatée par l’artiste Tewa Bernosa. Elle réunit les œuvres de cinq artistes libyens aux médiums divers mais animés par la même ambition : proposer une relecture de l’histoire nationale en s’appuyant sur des citations du Livre Vert.

Malak ElGuel, Wale Ndetro 2, vidéo couleur, 2min43, 2018.

Recueil de la « troisième théorie universelle » – anti-capitaliste et anti-marxiste – de la Jamahirya (Etat des masses), cet ouvrage faisait office de Constitution de 1976 à 2011. Si le programme politique présenté dans ce bréviaire est rapidement apparu sous son vrai jour – celui d’un régime despotique et destructeur du tissu social – il comporte également des fulgurances frisant l’absurde. Un pain béni pour le dessinateur en résidence Suhaib Tantoush, qui utilise la caricature et l’humour pour condamner les désastres engendrés par la doctrine Kadhafi. « La femme a des menstruations et l’homme n’en a pas » est un exemple de « révélations kadhafiennes » que le jeune artiste, biberonné aux caricatures de Mohamed Al-Zawawi, le pionnier du genre en Libye, incarne d’un habile coup de crayon. Un voleur bodybuildé, boosté aux hormones d’un régime prédateur, symbolise ainsi l’ubuesque et insensée loi « La maison pour qui y habite ». Quelques mots d’une simplicité déconcertante qui ont fait régner le chaos et la crainte permanente d’être dépossédé de ses biens immobiliers, en toute légalité. La légèreté et la précision du trait de Suhaib Tantoush
restituent cette insécurité constante, sous l’ombre menaçante du dictateur.

Suhaib Tantoush, sans titre, dessin à la mine de plomb sur papier, 2019.

Sarri El Faitouri choisit pour sa part une approche plus frontale pour évoquer cette histoire tumultueuse. Des enchevêtrements de collages énigmatiques, des couleurs criardes surgissent derrière des lignes rigoureuses et des formes géométriques, trahissant la formation d’architecte de cet artiste de 22 ans. A travers sa série Re-reading Libya, il explore les recoins obscurs de ce pays aux mains « de colons parasites », sous occupation italienne. Il s’insurge contre cette démagogie vampirisant la société de l’ère Kadhafi, avant de visiter l’histoire d’un peuple en perte de repères, « qui a oublié ce que “désirer” signifie », déplore-t-il. Ces questions identitaires font également écho aux travaux des vidéastes Rawand Haress, Malak El Ghuel et Ibrahim Omar Almokhtar. Percutantes et concises, leurs réalisations racontent la désillusion de tout un peuple, la tension écrasante, les injustices révoltantes et les luttes psychologiques agitant les Libyens. Œuvres cathartiques ? Elles traduisent à tout le moins l’audace de cette génération qui ose rouvrir l’une des pages les plus pénibles de son passé.

 

« The Green Book », Le Cube, Rabat, jusqu’au 29 mars.

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