Ahmed El Almi, La mémoire oubliée de Casablanca

Ahmed ElBidaoui

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L’ethnologue Abdelmajid Arrif révèle pour la première fois le fond de ce photographe de studio, témoin de la vie artistique de la Ville blanche.

 

C’est une véritable histoire d’amour que cette rencontre entre un ethnologue et une caisse remplie de vieilles photographies. En 2014, Abdelmajid Arrif, chercheur à Aix-en- Provence, fait la connaissance dans la médina de Casablanca des ayants droit d’Ahmed El Almi qui lui présentent l’extraordinaire archive de leur aïeul, l’un des photographes les plus actifs de la ville dans les années 50-70. Comme pour une fiancée à la beauté légendaire, Arrif dit oui. Sans même l’avoir vu, il propose d’acquérir le fonds. Il détient aujourd’hui avec son frère Youssef plus de 3 000 négatifs, tirages papiers et plaques de verre d’époque qui témoignent de l’oeuvre prolifique d’Ahmed El Almi et de son ancrage dans la société du spectacle. « Ces photos sont le palimpseste tangible, mais fragile, d’un territoire bouillonnant, porté par des artistes juifs, arabes, berbères, français, européens liés au temps colonial, mais aussi aux rêves fous des indépendances et du goût de la dignité recouvrée », explique Abdelmajid Arrif. 

 

LE HARCOURT DE LA MÉDINA

 

Son premier studio, le Studio Impérial, était situé au coeur de la médina, rue du Commandant-Provost, tout proche du cabaret Le Coq d’Or et non loin du café La Comédie en ville nouvelle, où El Almi tapait le carton avec les artistes du moment. À la fois portraitiste, retoucheur, reporter sur les plateaux de cinéma (il a participé en 1970 au tournage du Trésor infernal, premier long-métrage de Mohamed Ousfour, pionnier du cinéma marocain), Ahmed El Almi était un esthète, un artiste dans l’âme. Poser devant son objectif, c’était comme recevoir un oscar. Avec un style à l’éclairage soigné, inspiré du studio Harcourt, il était le photographe des stars – des légendes, comme des chanteurs Ahmed Bidaoui ou Abderrahim Souiri, des troupes de théâtre et des acteurs comme Dassoukine, ou encore des chikhates à la voix d’or et des danseuses à la peau suave. Il signait même des pochettes de disques pour le label Boussiphone. Sa vitrine où il exposait ses oeuvres était un véritable Vanity Fair casablancais. Les élégantes de Casa, beautés anonymes en quête de légende personnelle, venaient alors poser, comme Gina Lollobrigida, le regard incendiaire et la mèche en accroche-coeur. El Almi avait sa propre obsession d’artiste : son épouse, Rabiâ, qu’il a rencontrée alors qu’elle venait se faire tirer le portrait. Il l’a fait poser, seule ou en compagnie de sa soeur, sur plus d’une centaine de photos. Dans son plus bel autoportrait, El Almi se représente d’ailleurs en train de retoucher un portrait de sa bien-aimée. Il lui apprendra même le métier, puisque Rabiâ reprendra son activité après sa mort en 1974, en investissant dans la photographie couleur.     

 

Marie Moignard

 

Cet article est à retrouver intégralement dans le numéro 41 de diptyk